samedi 22 février 2020

Nouvelle vague (1990) - Godard

Difficile, toujours, de parler des films de Godard… Ils sont une source extraordinaire de stimulation, tout en laissant les mots s’échapper, invitant à une forme de critique qui passerait aussi par l’image et le son. Je crois aussi que ce sont des films qui se prêtent à la dispersion : magma de petites choses, multiples rapports entre elles, et l’on peut s’amuser à tout rassembler pour parler d’un film comme une unité, ou se contenter d’attraper au vol deux ou trois précieux moments dont se servira notre pensée. Beau paradoxe godardien, qu’il est le seul à habiter avec autant d’humilité (les autres qui s’y essaient écrasent souvent leur film sous le poids de leur unique pensée) : conscience totale de ce qu’il fait / existence autonome et mystérieuse d’un grand nombre de singularités (cinéaste du défilé). 

Il me semble que le sujet de Nouvelle vague est la domestication. Faire venir l’autre à soi, par une main tendue pour relever un blessé après un accident de la route, ou par une soumission de force à son autorité (personnages des domestiques, des serveurs maltraités…). Domestication animale (chevaux et chiens attachés), sexiste (femmes vouées à l’intérieur, à la tâche domestique), végétale (très beau personnage du jardinier), ou même du ciel et de la mer (avions, bateaux, nuisances sonores…). Tout est pris dans le social, chaque chose est sujette à un rapport avec une autre. Rapport qui n’est jamais égalitaire ; c’est ou montant ou descendant (figure de l’escalier, comme chez Renoir). Terrible pluralité des violences sociales : posture oppressive, parole monopolisée, territoire contrôlé, gifles, insultes… Intégrité socialiste du film -esprit de contradiction- : rien n’est montré seulement montant, ou seulement descendant, il y a toujours le revers (« le positif nous est déjà donné, il nous incombe de faire le négatif »). Les plans, les phrases, les scènes… souvent reviennent une seconde fois, mais toujours elles apparaissent comme différentes de la première, prises dans un rapport contraire (« ce n’est pas le même, c’est un autre »). Travelling latéral comme possible opposition à la standardisation de ces relations verticales (la mer, le ciel, c’est le bas et le haut mais c’est aussi l’horizon), images qui en devient une autre par l’horizontal, sans passer par-dessus : « ce n’est pas le même, c’est un autre » ; figure de la vague nouvelle, transformation constante (qui ne passe pas par la force), comme le jardin -comme la prose- qui n’est jamais fini, a toujours besoin de retouches, et suggère lui-même ses corrections (« mais si on le délaisse... »). Passage des saisons, paysage jamais le même, perpétuellement autre, toujours sublime en tant qu’il est vivant et inaliénable dans son impermanence. « Le fond du vert luxuriant de l'été et l'embrasement royal de l'automne et la ruine de l'hiver, avant que ne fleurisse à nouveau le printemps ». 

« Qui est l’herbe, quand elle est sans nom ? » demande le jardinier, « Ton serviteur » semble répondre un intertitre. Ou alors annonce-t-il le plan suivant ? Sans doute est-ce les deux à la fois. Se refuser à domestiquer cet intertitre : considérer l’avant, l’après, ne pas le mettre sur, ne pas y voir un rapport vertical (de domination) mais le laisser (dé)filer dans la coulée temporelle, horizontale (le temps en tant qu’espace est horizon). Ne pas interférer dans l’indépendance offerte par le film à ce « Ton serviteur », qui, irréductible à un seul sens, est en lui-même déjà un autre.

mardi 18 février 2020

Une vie suspendue (1985) - Saab

Il y a un sentiment que je trouve délicieux au cinéma, c’est celui de découvrir en même temps que le film une ou deux directions possibles de la fiction. Comme une synchronisation miraculeuse entre le travail du spectateur et celui du film en train de se faire. Une vie suspendue est alors un film de tous les délices, en ce sens qu’il ne cesse de se laisser surprendre, sans ne jamais prendre la moindre avance et avec le même étonnement que celui qui regarde, par les multiples petits bouts d’histoire(s) retrouvés ça et là au gré des déambulations de son personnage. Vie suspendue à un corps qui passe en funambule, et danse, grimpe, sautille, se joue de tout, au beau milieu d’un monde en ruine (Beyrouth pendant la guerre civile). Puis un rêve de jeune fille rencontre un fantasme d’artiste vieillissant, alors il y a frôlements, oscillation, croisement de deux désirs qui ne se touchent jamais. Elle marche sur la pointe des pieds, dans une espèce de légèreté sublime, comme si l’espace flottait ; lui reste assis, avachi, puis se relève pour un dernier coup de théâtre avant de s’effondrer -et elle de poursuivre son errance en apesanteur comme si de rien n’était. Que faire d’autre quand la guerre ne daigne plus s’arrêter ? Il n’y a plus que cette insouciance-là pour résister (ou c’est la mort, comme lui) : jouer la vie à pile ou face, faire d’un pont, d’une plage ou de bâtiments ravagés des lieux de distractions ou terrains d’inventions. Refaire le monde à partir de quelques résidus de fiction. Ce film-là n’est peut-être rien d’autre que cela : l’utopie d’un théâtre enfantin dans les vestiges d’une ville anéantie, où de petits pas pleins de grâce suffisent à réenchanter un sol dévasté.

lundi 17 février 2020

Gardiens de phare (1929) - Grémillon

Étonnement face au silence dans lequel était projeté le film. Il m’arrive régulièrement de regarder des films muets sans activer le son lorsque je suis chez moi, mais c’est la première fois que j’assistais à une séance organisée ainsi en salle (remplie d’une centaine de personnes, qui plus est). Drôle de sentir la gêne provoquée par ce silence imposée, les toussotements, les grincements des sièges, les chuchotements par instants… Pour ma part c’est une expérience que j’ai beaucoup apprécié ; j’aime le silence, je crois. 

Quant au film, il démarre fort, les dix premières minutes sont impressionnantes, très rocailleuses. Plein de plans sur le phare où on le sent si dur et imposant, grand bloc de pierre planté là au beau milieu de la mer, sur lequel vient s’abattre le tumulte des vagues. Quelque chose de monumental, qui m’évoque le cinéma de Pedro Costa. Et toujours les efforts physiques chers à Grémillon : le poids d’un sac balancé à l’arrière de son dos, l’enclenchement des manivelles du phare… Malheureusement, le film se perd un peu par la suite dans une intrigue psychologique, avec un héros excédant de folie et des « images mentales » qui vont avec pour marteler le spectateur. Il s’inscrit dans une tendance du cinéma français des années 1920, stoppée nette avec l’arrivée du parlant (ce film-là en est peut-être le dernier représentant) qui visait à figurer par l’image et le montage les tourments de l’âme, à coup de grandes métaphores et d’effets en tout genre. Moi, ça me barbe un peu, et je dois bien avouer que je suis surpris de voir Grémillon se prêter à ce jeu-là (bien qu’il s’en sorte pas trop mal, Gardiens de phare n’est pas vraiment un mauvais film), d’autant que deux ans plus tard -avec le son cette fois- il réalise le sublime La petite Lise, pour moi l’un des plus beaux films qui soient.

dimanche 16 février 2020

L'amour d'une femme (1953) - Grémillon

Je me demande si ce qu’on appelle l’émotion, ce ne serait pas simplement la mise en mouvement du corps entier ; le sentiment -parfois même inconscient, parfois sensible au bout des doigts plus que dans la tête- que la Terre tourne autour et en soi, et que la vie nous traverse, nous burine, nous forme… enfin qu’elle modifie à chaque instant notre matière charnelle, dont nous oublions bien souvent le labeur continu qui sert à en maintenir le souffle existentiel. L’émotion serait alors l’expérience d’une lucidité physique retrouvée pouvant se traduire ainsi : « je suis vie, non pas mort ». 

A la sortie de la séance, l’émotion était vive. L’impression d’être en contact direct avec la « réalité de la vie » évoquée par Simone Weil dans une lettre dont j’ai reproduit un extrait ici-même (22/01) : « La réalité de la vie, ce n'est pas la sensation, c'est l'activité -j'entends l'activité et dans la pensée et dans l'action. ». Mise en présence de la nécessité de chaque pas sur le chemin du retour, et de chacun des plis de ma pensée… et désir profond de me mettre au boulot, quel que soit ce boulot (écrire, déjà). C’est que le film de Grémillon est activité constante. Tout y est charge à soulever, matière à travailler. L’œuvre d’un effort de tous les instants, où sont mis sur un pied d’égalité les grands bouleversements sentimentaux et les moindre gestes du métier (les scènes très précises d’exercice de la médecine, avec en point d’orgue l’opération du gardien de phare en forme de documentaire en temps réel, mais aussi tous ces moments de tâches quotidiennes présentées en entier, dans la mesure toujours juste de l’énergie qu’elles mobilisent : aider des gens à descendre d’un bateau, remonter une bâche à l’arrière d’un camion, mettre le couvert…). Vivre l’amour à deux, accepter l’autre dans son entièreté, c’est un travail considérable, qui demande de remuer des choses parfois profondément ancrées. Pour André, c’est plus difficile encore que le labeur quotidien de son chantier : tout un monde en lui est installé, où les femmes mariées sont dévouées au foyer, et déconstruire ce monde est un mouvement de la pensée si titanesque qu’il s’en montre incapable. Marie, elle, est prête à tout abandonner pour lui : lâcher son métier qu’elle aime tant, vivre une existence loin de son idéal, quitte à se rendre triste, pour le bonheur d’André. Noble sacrifice, abandon magnifique à l’autre, mais sacrifice quand même, qui n’aurait pas à être fait si l’effort de l’autre était égal au sien. André, avec le temps, dans son amour pour elle, finit par prendre conscience que ce qu’il réclame d’elle la rendrait malheureuse. Il a vu ses yeux scintiller de joie après qu’elle a opéré le gardien du phare, il y a vu ce bonheur infini qu’elle pouvait éprouver dans l’exercice de son métier. Il ne peut pas lui demander de tirer un trait là-dessus. Mais il ne parvient pas non plus, lui, à se résoudre à épouser une femme médecin. Alors il part, et le film se termine avec l’un et l’autre séparés ; avec elle, à vrai dire, et son visage sur lequel jaillit une larme au moment où retentit depuis la fenêtre ouverte la sirène du bateau quittant le port. 

Tout cela, je le raconte en quelques mots, réduisant tout, ne restituant qu’une infime part de la vigueur employée par le film pour accompagner l’ébranlement de la vie de ces êtres. D’une chaise lancée en plein sur le visage d’un ouvrier qui tombe sec à l’effondrement de l’institutrice, à bout de force, mourant ainsi devant l’église le jour où elle a pris sa retraite, chacune de ces vibrations du corps semblent faire trembler l’île d’Ouessant toute entière. Il y a tant de matière dans L’amour d’une femme, tant d’endurance et de patiente pour la sculpter et la donner à voir… Peuvent-elles se raconter, ces minutes passées à éprouver la tempête à bord d’un bateau de pêche se dirigeant vers le phare ? Et l’eau de la mer qui ne cesse de se déverser sur Marie, déjà accablée de fatigue lorsqu’elle arrive au phare pour soigner le gardien, et le film qui dure encore, l’assiste jusqu’au bout, ne se repose jamais tandis qu’elle s’épuise à la tâche. Si le personnage fait tous ces efforts, le cinéaste qui la filme a le devoir de les faire avec lui. Pour Grémillon l’émotion n’est jamais chose acquise, elle est la mise en œuvre d’une adaptation au rythme de chaque événement, comme un bâtiment à construire pour que pénètrent dans la vie les turbulences de la mer et de la Terre. 


(je constate que ce que j’ai écrit là est assez proche de ce que j’avais noté il y a quelques jours à la sortie du Vent se lève. J’avais déjà pensé, sur le moment, à la proximité entre le film de Miyazaki et le cinéma de Grémillon, et aujourd’hui cette proximité-là me saute aux yeux à la lumière de ce que j’ai pu en dire. Ce « il faut tenter de vivre », toujours, qui vient rencontrer les recommandations de Simone Weil. Tout cela me préoccupe beaucoup, en ce moment, et nourrit mon besoin de concret, d’ancrage physique dans le monde. Et puis le métier, l’artisanat… et la mise à l’épreuve constante de son rapport à l’autre, prendre la mesure de ses actes, de ses conditionnements, de la place occupée dans son environnement (et ainsi travailler à déconstruire ce que le patriarcat et la culture -mes deux grands systèmes oppressifs, qui d’ailleurs vont de pair- ont pu installer en moi). )

jeudi 6 février 2020

Listen to Britain (1942) - Jennings

Film de propagande britannique d’une durée de 20 minutes réalisé pendant la guerre. Comme son titre l’indique, c’est un film qu’il s’agit avant tout d’écouter. Pour y entendre la musique résister aux bruits des machines, dans un montage parallèle qui les lie tout en mettant en évidence ce qui les oppose. Les bombardements aériens, comme les moteurs des jeeps, les fracas du fer industriel ou les vrombissements d’une locomotive, semblent agressifs et dissonants par rapport aux cordes des violons, aux chants des oiseaux, aux pas des chevaux, aux danses des enfants dans la cour de récréation… Il y a ce moment extraordinaire où la cheminée d’une usine pousse une forme de cri strident et continu qui ne s’arrête que lorsque le montage le confronte au plan fixe des feuilles d’un arbre, comme si la seule présence de ces branches travaillées par le vent avait le pouvoir d’interrompre le tapage suraigu de la machinerie, et de le transformer presque instantanément en légères notes de piano, qui régiront avec douceur la séquence suivante.

dimanche 2 février 2020

Passion (1954) - Dwan

Ce qui me touche avant tout avec ce splendide petit western, c’est sa conscience écologique. L’attention portée par Dwan à l’espace ne tient pas seulement au vif sentiment de la restitution des dimensions réelles d’un lieu (sentiment qui atteint d’ailleurs des sommets inégalés dans certains de ses films), mais bien aussi à l’équité totale avec laquelle il regarde toute forme de vie présente dans l’environnement ; l’espace est compris comme un écosystème riche, diversifié, relativement hospitalier bien que perturbé par la présence de l’homme. C’est cette perturbation qui est présentée d’emblée comme le sujet du film, par ce texte d’ouverture inscrit par-dessus l’image d’une nature verte et ensoleillée : « Early California… under Mexican rule… the timeless mountains and eternal snows looking down on the everlasting struggle of man against man. », puis montrée tout du long, comme lors de la séquence sidérante de l’attaque de la hacienda par la bande de Sandro, durant laquelle la maison du personnage principal (alors absent) est incendiée, et sa famille assassinée. Le moment où la femme s’écroule derrière la barricade après avoir été frappée d’un coup de feu fatal est effroyable, mais il y a juste avant un plan tout aussi terrible sur le toit de paille qui brûle à une vitesse impitoyable puis finit par s’effondrer sous les flammes. La terreur et l’effroi proviennent moins d’une mort humaine que de la destruction de toute vie par le feu ardent de la passion, une passion qui elle-même est envisagée comme un état possible du paysage : pourquoi ne pourrait-on pas le considérer comme un martyr de la barbarie des hommes, lui qui en souffre tant ? 

Autre très beau moment de perturbation : dans l’espace exigu d’une petite écurie, entre deux chevaux séparés d’à peine un mètre cinquante de distance, deux hommes se battent à mort. Les étalons, gênés, s’agitent et hennissent à tout va, mais leurs licols sont bien serrés et les nœuds fermement attachés, si bien qu’ils sont contraints de subir la bagarre qui se joue à leurs pieds et souvent les bouscule. Dans cette scène, ce sont eux que l’on voit, eux vers qui la caméra tourne son regard. Ils ne sont pas de simples plus-values du décor dans lequel on s’écharpe, ils sont les sujets d’une scène qui montre l’oppression des hommes à leur égard, et par là-même le caractère irresponsable et violent d’une brutalité qui ne devrait pas les concerner, the everlasting struggle of man against man. Plus tôt, un geai moqueur oppose une résistance à l’inconsciente tyrannie humaine. Son chant est entendu depuis la fenêtre par un jeune couple heureux, et l’homme s’écrit alors que c’est là le signe d’une naissance à venir. Puis le chant se poursuit, et alors la femme ajoute qu’il y aura probablement deux enfants. L’oiseau ne s’arrêtant pas, l’homme renchérit encore ! Mais vient un moment où le nombre des enfants prétendument annoncés devient intolérable : il ferme alors la fenêtre, agacé, pris par la frustration de ne plus parvenir à soumettre les moqueries du geai à un quelconque sens qu’il aurait décrété. Et si le film, après l’émouvante dernière réplique prononcée par le héros qui vient de renoncer à aller au bout de sa vengeance ( « it's hard to kill a man who has much to live for »), se termine par l’image d’une fenêtre donnant sur un arbre dressé devant la montagne, c’est encore parce qu’il est animé de cette même éthique environnementale qui régit tous ses plans : même le plus beau des récits n’aura jamais l’importance des vibrations autonomes du dehors.

samedi 1 février 2020

Le vent se lève (2014) - Miyazaki

(revu en salle)
S’il n’y avait que des films comme ça, me dis-je à la sortie, le monde se porterait moins mal… Pourtant le monde du film n’est pas au mieux : un tsunami, une guerre, une grave maladie… Mais toujours des actes et des paroles -de la part des hommes, des femmes, de la Terre, du vent- allant dans le sens d’une profonde dignité. C’est pour ça qu’il est si merveilleux, ce film : la concordance de tout ce qui peuple le monde vers un élan de vie morale. « Je ferai de mon mieux » répète inlassablement le héros ; et il s’exécute. Et avec lui les éléments, malgré les chocs, les douleurs, les tremblements. Qu’elle est belle cette séquence du train où le souffle d’une première brise annonciatrice fait s’envoler le chapeau du héros jusque dans les mains d’une fille qui sera l’amour de sa vie. Puis juste après le séisme, le train qui déraille, la ville à feu et à sang, et lui qui aide comme il peut, dans un faux silence où résonnent les vrombissements dévastateurs des craquements de la Terre. Ou plus tard une bourrasque, un parapluie s’échappant des mains de la fille depuis le haut de la colline pour se diriger vers lui, en bas, qui l’attrape et le retient comme il peut -on sent la force du vent et le poids de l’objet-. On pourrait y voir le signe d’un romantisme appuyé, mais je crois que si signe il y a, sa seule formulation est celle donnée par le film lui-même, avec ses personnages, citant Valéry : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. ». Rarement les forces telluriques et cosmiques ont été rendues sensibles avec une telle intensité au cinéma : du déchirement des ailes d’un bolide aérien lancé à pleine vitesse aux loopings imprévisibles d’un petit avion de papier virevoltant au bas d’une fenêtre, de la destruction sourde et brutale d’une ville à la pénétration soudaine de quelques flocons de neige dans un sac de couchage. Tout existe et mobilise une expérience physique entière. Le spectateur mis en présence de la matière (miracle de ces traits qui redessinent l’enveloppe charnelle du monde). Le vent se lève, donc, -se lève vraiment- et nous souffle à l’oreille le sens de la vie ; une direction éthique de l’air qui passe, creuse des vides entre l’un et l’autre qui alors se regardent, se parlent, se donnent la main, rêvent et meurent dans l’amour, cet amour étant aussi écoute de l’amour de l’autre. S’accorder au mouvement de la vie, même quand il est violent, triste, douloureux, tenter de vivre au gré du vent qui se lève. Oui, il le faut.

« La chaleur des meules devint si forte qu’on ne pouvait plus s’en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des cré...