Ce qui me touche avant tout avec ce splendide petit western, c’est sa conscience écologique. L’attention portée par Dwan à l’espace ne tient pas seulement au vif sentiment de la restitution des dimensions réelles d’un lieu (sentiment qui atteint d’ailleurs des sommets inégalés dans certains de ses films), mais bien aussi à l’équité totale avec laquelle il regarde toute forme de vie présente dans l’environnement ; l’espace est compris comme un écosystème riche, diversifié, relativement hospitalier bien que perturbé par la présence de l’homme. C’est cette perturbation qui est présentée d’emblée comme le sujet du film, par ce texte d’ouverture inscrit par-dessus l’image d’une nature verte et ensoleillée : « Early California… under Mexican rule… the timeless mountains and eternal snows looking down on the everlasting struggle of man against man. », puis montrée tout du long, comme lors de la séquence sidérante de l’attaque de la hacienda par la bande de Sandro, durant laquelle la maison du personnage principal (alors absent) est incendiée, et sa famille assassinée. Le moment où la femme s’écroule derrière la barricade après avoir été frappée d’un coup de feu fatal est effroyable, mais il y a juste avant un plan tout aussi terrible sur le toit de paille qui brûle à une vitesse impitoyable puis finit par s’effondrer sous les flammes. La terreur et l’effroi proviennent moins d’une mort humaine que de la destruction de toute vie par le feu ardent de la passion, une passion qui elle-même est envisagée comme un état possible du paysage : pourquoi ne pourrait-on pas le considérer comme un martyr de la barbarie des hommes, lui qui en souffre tant ?
Autre très beau moment de perturbation : dans l’espace exigu d’une petite écurie, entre deux chevaux séparés d’à peine un mètre cinquante de distance, deux hommes se battent à mort. Les étalons, gênés, s’agitent et hennissent à tout va, mais leurs licols sont bien serrés et les nœuds fermement attachés, si bien qu’ils sont contraints de subir la bagarre qui se joue à leurs pieds et souvent les bouscule. Dans cette scène, ce sont eux que l’on voit, eux vers qui la caméra tourne son regard. Ils ne sont pas de simples plus-values du décor dans lequel on s’écharpe, ils sont les sujets d’une scène qui montre l’oppression des hommes à leur égard, et par là-même le caractère irresponsable et violent d’une brutalité qui ne devrait pas les concerner, the everlasting struggle of man against man. Plus tôt, un geai moqueur oppose une résistance à l’inconsciente tyrannie humaine. Son chant est entendu depuis la fenêtre par un jeune couple heureux, et l’homme s’écrit alors que c’est là le signe d’une naissance à venir. Puis le chant se poursuit, et alors la femme ajoute qu’il y aura probablement deux enfants. L’oiseau ne s’arrêtant pas, l’homme renchérit encore ! Mais vient un moment où le nombre des enfants prétendument annoncés devient intolérable : il ferme alors la fenêtre, agacé, pris par la frustration de ne plus parvenir à soumettre les moqueries du geai à un quelconque sens qu’il aurait décrété. Et si le film, après l’émouvante dernière réplique prononcée par le héros qui vient de renoncer à aller au bout de sa vengeance ( « it's hard to kill a man who has much to live for »), se termine par l’image d’une fenêtre donnant sur un arbre dressé devant la montagne, c’est encore parce qu’il est animé de cette même éthique environnementale qui régit tous ses plans : même le plus beau des récits n’aura jamais l’importance des vibrations autonomes du dehors.
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