lundi 28 janvier 2019

Sue perdue dans Manhattan

Vu sur un coup de tête Sue perdue dans Manhattan (Amos Kollek, 1998), dont je ne savais rien. Immédiatement embarqué par l’énergie du film, son côté artisanal, son côté musical. J’ai été séduit, au début, par cet art de l’accidentel, cette succession de rencontres inattendues, ou attendues mais débouchant quand même sur une forme d’imprévu. Chaque scène fonctionne sur un schéma du duo (Sue + un autre, avec parfois l’apparition d’un troisième personnage par le biais du deuxième) dans un environnement précis (le bar, le parc, la rue, l’appartement), et le tricotage d’une fiction à partir de ça, depuis un point de vue d’observant, attentif aux petits accrocs qui viennent donner vie à la situation. Il paraît que le cinéaste (que je ne connaissais pas) aurait eu l’idée de son film à partir d’un événement étonnant qu’il aurait vu par hasard dans un parc de Manhattan : une femme dévoilant furtivement ses seins à un vieil homme noir sur un banc. La scène est dans le film, accompagnée de plusieurs autres à l’aspect tout aussi étrangement anecdotique. 

Dans un premier temps tout ça est plutôt stimulant, on se prend au jeu. Puis, petit à petit, la dimension de jeu s’efface, le schéma devient plus mécanique et commence à tourner en rond (les personnages reviennent, s’installent dans le film, et dévoilent du même coup ce qu’ils ont de cliché -cliché que permettait d’éviter l’idée de la rencontre d’une scène-)… Et le film s’appesantit. On en vient à regretter l’énergie du début, presque rivettienne, et l’on repense à certains passages du Grand Alibi (Hitchcock) ou de Out 1 (Rivette), en se disant que c’était quand même nettement mieux. Quant à la routine, sujet du film, elle prend vie sans essoufflement dans le superbe Paterson de Jarmusch. Et la dépression de Sue, alors ? Eh bien elle a le mérite de n’être pas trop accablante, ne serait-ce que parce que, dans ce schéma du duo permanent, une certaine distance est prise avec l’état du personnage. Il y a le personnage dépressif, certes, mais aussi toujours son contre-champ, qui vient s’y confronter (parfois avec violence mais sans hystérie) et proposer différentes possibilités d’interaction sans tomber pour autant dans une lecture psychologisante. C’est la belle idée du film. 

Mais alors pourquoi ça ne fonctionne pas sur 1h30 ? Peut-être parce que la succession d’accidents du film, qui faisait sa jolie progression au départ, se retourne contre lui à partir du moment où elle est théorisée. Sue dévoile clairement son jeu (« tu es un accident, mais un bel accident » dit-elle à Ben) et affirme ainsi son refus de continuer à jouer. Elle ne se laisse plus surprendre, ou le fait avec une hyper-conscience telle que la surprise ne procure plus aucun plaisir (voir la scène de jouissance morbide au cinéma). Acceptant l’autre d’emblée sans passer par le stade si essentiel de la rencontre, elle finit par s’oublier. Et le film, au lieu de prendre la mesure de ce changement d’état, la suit bêtement et s’oublie d’un même geste.

dimanche 27 janvier 2019

[...]

Paradoxalement, mes études de cinéma me permettent de prendre mes distances avec le cinéma. Si on met de côté les deux premières semaines de ce mois de janvier qui furent assez chargées, je regarde beaucoup moins de films qu’avant depuis septembre. Et je me sens moins préoccupé par le cinéma. Je crois que j’ai trouvé une distance à laquelle j'aspirais depuis longtemps, et qui me semble profitable dans le sens où aujourd’hui je vois le cinéma à la fois dans ce qu'il a d'important et dans ce qu'il a de trivial. Je crois que la FAC (et pas seulement les cours de cinéma, je parle aussi -et surtout- du fait de baigner dans cette ambiance si particulière à l’Université) me fait mesurer à quel point le cinéma, dans la vie des gens, c'est l'un et l'autre à la fois : important, fondamental même, et trivial. C'est ce qui forme l'imaginaire, ce qui nourrit la représentation qu'on a du monde, et en même temps c'est un simple loisir, un passe-temps (voir Trois visages de Panahi, film essentiel sur la question). C’est quelque chose dont j’avais l'intuition depuis longtemps, mais je le sens réellement, intensément, depuis que je suis à nouveau mêlé aux "jeunes d'aujourd'hui" (ceux de ma génération). A quel point tous les gens autour de moi se fichent bien du cinéma, et à quel point, aussi, ça les forge et les nourrit (ou les enferme, ou les éduque, c'est selon). Et moi je suis dans la même situation, à la différence qu'à un moment donné le cinéma m'est tombé dessus, et j'ai choisi de l'affronter au corps à corps pour voir ce qu'il avait dans le ventre. 

Mon rapport au cinéma se joue là dorénavant : c’est un rapport physique, qui m’engage tout entier. D’où mon affinité avec Mourlet et les Mac-Mahoniens sans doute, malgré leurs limites dogmatiques. Je reconnais volontiers le danger de leur côté réac, mais je ne peux m’empêcher de partager avec eux une fascination réelle pour ces sublimes morceaux d’univers contenus dans certains gestes de Walsh ou de Preminger, morceaux qui ne sont visibles dans leur pleine vitalité qu’à condition de se donner sans réserve au film -voire au cinéma. D’où aussi mon problème avec les films trop théoriques, les petits jeux de l’esprit (certains Akerman, Hong Sang-Soo…) qui semblent ne pas trop se préoccuper de transformer les idées en matière vivante. D’où, enfin, ce besoin d’en découdre, c’est-à-dire de chercher à démêler les fils, pour voir. Quitte à m’emporter, à me tromper, à revenir en arrière... Mais toujours prendre position, et la défendre. Puis changer de position, me décaler, me retourner… En somme, j’oscille entre un doute constant et un dogmatisme forcené, qui me permet d’avancer. Ainsi les idées fusent, c’est très stimulant, je progresse vite et bien. Mais en contrepartie, il est parfois difficile de me suivre (« mais enfin tu pensais ça il y a 6 mois, et maintenant tu dis le contraire ! »), et tout aussi difficile pour moi de communiquer. 

Depuis près de deux ans, quelque chose s’est stabilisé. Quelque chose qui tourne autour de Daney, Skorecki, Biette, Rivette, Godard et Straub, en gros. C’est-à-dire : 
- Cinéma = cinéma classique hollywoodien. « Art d’usine » (Skorecki). Artisans > artistes (Farber).
- Rapport privilégié et précieux du cinéma avec le réel (Bazin). 
- Travelling affaire de morale (Godard, Rivette et Kapo, Daney, Mizoguchi, etc). 
- Auteurisme, maniérisme, cinéma filmé, effets-cinéma... = poubelle. 
- Cinéphilie (depuis les années 60) = bourgeoisie = ennemi. 
- Toujours se poser la question du politique (Brecht, Straub, Godard). 
- Innocence coupable du spectateur (Hitchcock, Lang, Moonfleet surtout). 
- Salut possible par le théâtre : modernité ? (Biette). 
- « tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma » (Renoir). 

Tout ça constitue un socle, auquel je ne cesse de revenir et à partir duquel j’affine ma pensée (celle du cinéma mais aussi celle du monde).

samedi 26 janvier 2019

Green Book

Green Book est un film à la croyance intacte, sans roublardise. Presque un miracle. Le cinéma existerait-il encore ? Rien ne le prouvait ces dernières années, où même les plus beaux films font un pas de côté : Wang Bing et Panahi s’évertuent à chercher la fiction dans le réel plutôt que l’inverse, Bozon et Mazuy sont des marginaux, Mouret est un classique mais s’assume comme un héritier, et des films aussi extraordinaires que Sully ou Un jour dans la vie de Billy Lynn s’inscrivent dans une forme d’ultra-contemporanéité théorisée qui ne laisse aucun doute quant à la conscience qu’ils ont de leurs moyens et de leur place dans l’Histoire. Quant aux mauvais films, c’est bien souvent le festival d’effets-cinéma, jusqu’à l’écœurement (Hérédité en tête de la parade des navets du cinéma filmé, pour reprendre l’expression de Biette). Mais le vrai cinéma, celui qui ne se montre pas, celui qui est sans chercher à l’être, semblait avoir complètement disparu des grands écrans (une hypothèse : on le trouve aujourd’hui sur YouTube et les réseaux sociaux). The Mule et Green Book me donnent tort, pour ma plus grande joie. 

Ce Green Book alors, qu’en dire ? Eh bien pas grand-chose, sinon qu’il faut aller le voir parce que c’est magnifique… Pas loin de la fin du film, une serveuse, à qui l’on affirme que le Doc est le meilleur pianiste au monde, répond « il ne suffit pas de le dire, montre-moi ! ». Il y a de ça dans le film, l’idée de quelque chose qui échappe manifestement au dire et qui est de l’ordre de la monstration. On pourrait raconter le film, parler de l’évolution progressive des personnages au contact de l’autre, de leur environnement et événements, mais ce serait prendre le risque de ne pas restituer ce qui se joue d’un point de vue de la matière-même du film. Il ne s’agit pas seulement d’évolution des personnages, mais bien de transformation. Il se passe quelque chose de physique : en-dessous ou au-delà du discours, les idées prennent corps, elles excèdent largement l’idéologie (et mettent à bas toute possibilité de démagogie). C’est ainsi qu’on pense très fort à Capra, jusqu’à imaginer qu’il aurait pu réaliser le même film à peu de chose près s’il était encore en vie (peut-être Capra n’est-il pas assez populaire encore, au sens le plus noble du terme, pour faire ce qu’a fait Farrelly -qui est l’un des cinéastes américains les plus importants aujourd’hui, disons-le bien). 

Deux trois choses quand même, en passant : 
- Les deux acteurs (+ la femme) sont formidables. Mahesherla Ali a quelque chose d’une dignité magistrale, qui cache une fragilité mêlée à une colère rentrées, se dessinant parfois au creux de ses yeux et s’exprimant pleinement au piano seulement. Viggo Mortensen est une vraie boule d’énergie, façon James Cagney. Il mange et parle tout le temps, ne cesse de gigoter intérieurement, et semble toujours prêt à décoller une droite (et quand il frappe il frappe, il n’y va pas de main morte !). L’un comme l’autre des personnages, malgré leur caractère peu évident de prime abord, gagne petit à petit notre sympathie, puis notre amour. Il n’y a plus beaucoup de personnages de cinéma qu’on aime sincèrement et intensément aujourd’hui (l’heure est aux acteurs, ou aux sujets). L’année dernière il y a eu celui du Marquis dans Mademoiselle de Joncquières, ou le fameux Mathias Valance de Mes Provinciales. Cette année il y a déjà ces deux-là. C’est très réjouissant. 
- La scène durant laquelle Tony (Mortensen) dit au Doc (Ali), au cours d’une courte dispute, qu’il est peut-être plus noir que lui, me travaille beaucoup, et me marquera sans doute durablement. Il s’y joue quelque chose d’essentiel, je crois, sur la question de l’identité. Qu’est-ce qu’un nigga, au fond ? Est-ce une question de couleur de peau ou de condition de vie ? Le passage de l’un à l’autre dans le film, du racisme au rapport de classes, est absolument remarquable de limpidité et de lucidité. Le film travaille en profondeur ces rapports et ces imbrications, qui dépassent de loin les jolis plis scénaristiques pour prendre vie à l’écran, dans l’espace du film. 
- J’ai versé la petite larme de rigueur au moment où le pianiste se met à jouer du jazz dans le bar. C’est attendu, mais ça marche (c’est peut-être ça, le cinéma !).

mardi 15 janvier 2019

filmer un enfant

J’ai croisé deux enfants dans la rue tout à l’heure. Un petit noir et un petit blanc, avec un ballon de foot. Ils couraient pour avoir le bus (« Benjamin, dépêche-toi ! »). J’ai été étonné par leur façon de se déplacer au milieu des gens. Quelque chose dénotait. Ils semblaient ne pas se soucier de ce qui (se) passait autour d’eux, tout en ayant, malgré (ou grâce à) l’insouciante, une grande conscience corporelle de l’espace. Leurs corps se mouvaient aisément dans la foule, et chacun de leurs pas témoignaient d’une réelle lucidité physique de leur présence au monde. L’esprit encore préoccupé par les écrits de Daney, que je relis avec une joie immense en ce moment, je me demandai : « Comment pourrait-on les filmer ? ». Puis, à la suite, « comment filmer les enfants ? Que faut-il faire avec eux ? ». 

J’ai repensé à deux films sortis récemment, qui répondent à la question de deux façons différentes. Amanda (Mikhaël Hers) d’abord, qui montre une fille de 7 ans vivant dignement le deuil de sa mère, sans pathos. On a loué un peu partout la performance attendrissante et « d’une justesse sidérante » de l’actrice. A moi, elle m’a semblé trop attendrissante pour être tout à fait juste. Je n’ai rien contre l’actrice, qui a fait son job comme elle a pu et s’en est sortie honorablement, mais c’est le regard que le cinéaste porte sur elle qui me gêne un peu. Disons que j’y vois de l’infantilisme : l’enfant est montré comme un être « inférieur », pas encore tout à fait accompli, qui ne voit pas encore vraiment le monde dans toute sa complexité, contrairement à l’adulte -le metteur en scène- qui ne peut pas s’empêcher de le regarder de haut, avec une douceur indiscutable mais aussi une forme de condescendance. Avant d’être un personnage, l’enfant est un objet d’attendrissement, fétichisé. (un symptôme : Amanda, 7 ans, s’exprime comme si elle en avait 5 -et la différence est non-négligeable à cet âge). 

Dans L’homme fidèle, Louis Garrel aborde le problème avec davantage d’humilité. Joseph, le fils, est un personnage comme un autre, ayant droit lui aussi à ses idées, ses sentiments propres et la part de mystère qui caractérise tout bon personnage de cinéma. Le cinéaste s’amuse même des rapports de générations (Eve -à peine 20 ans- et Joseph, complices improvisés, partagent un goût pour une forme impudique et obsessionnelle d’espionnage) et semble tourner en dérision la tendance infantilisante lors d’une conversation savoureuse durant laquelle Abel (Louis Garrel), embarrassé, avoue clairement à Joseph qu’il ne sait pas comment se comporter avec lui : « quand je te parle comme à un enfant ça ne marche pas, et quand je te parle comme à un adulte ça ne marche pas non plus. Je dois te parler comment alors ? ». La réponse est donnée par le film : il s’agit de le considérer d’abord comme un individu, dans toute sa singularité, en laissant de côté la prétention de l’adulte qui croit détenir sur l’enfant le pouvoir du savoir. 

Une idée : c’est peut-être en regardant l’enfant comme un adulte parmi les autres qu’on prendra enfin conscience qu’au fond, nous sommes tous des enfants.

lundi 14 janvier 2019

Faisons un rêve...

Stupéfait devant le moment où l’homme et sa femme débarquent dans l’appartement au début de Faisons un rêve… (1936) de Sacha Guitry. Ils entrent dans la pièce, ne bougent pas, et déclament leur texte avec un sérieux amusé. La caméra est située à une certaine distance (de sorte qu’on voie les deux corps dans le décor) et reste plantée là, fixement, attentivement, à les regarder jouer. Le cinéma comme plaisir de filmer le théâtre, et rien d’autre. 

Je repense alors à L’amour par terre (1984) de Jacques Rivette, débutant par une scène savoureuse de théâtre d’appartement que l’on suit aux côtés d’une bande de spectateurs-comploteurs qui semblent s’être glissés là par effraction. Le plaisir est le même, mais est accompagné cette fois d’une forme de complicité perverse. 1936 – 1984 : le cinéma est passé par là. Il a étouffé le théâtre (c’est un suicide) avant d’y revenir à petit pas, à l’écoute de ses respirations malades mais trop conscient de l’atrocité de son crime pour le filmer à nouveau innocemment. Rivette, cinéphile, a compris grâce à Hitchcock qu’on ne pouvait plus faire comme si le spectateur n’était pas au courant. 

L’homme et la femme se séparent. Chacun fait le tour de la pièce -toujours en discutant-, puis ils se réunissent à nouveau dans le cadre. Guitry continue de filmer leur jeu, tranquillement (le texte file à toute allure). Le plaisir est toujours là, intact, primitif et délicieux. 

(À part ça, on parle beaucoup et vite tout en bougeant très peu -on pense fort aux Straub-. Notons d’ailleurs que les gestes des personnages sont toujours commentés ou commentaires, tout est soumis à la parole. Pour autant l’espace existe, les corps aussi. C’est que la parole habite le plan et lui donne vie, c’est elle qui fait corps
(À part ça², un homme monologue dans une pièce pendant plus de 15 minutes. Le texte est sympathique ; la scène est fascinante)

mardi 8 janvier 2019

L'homme fidèle

Je viens d’aller voir au cinéma L’Homme fidèle de Louis Garrel, acteur parfois convaincant (notamment dans les films son père) mais qui ne m’est pas toujours sympathique et que je croyais pas très futé. Je suis allé le voir sur un coup de tête, sans en attendre rien, parce que le film est court (1h15) et que j’avais un peu de temps devant moi. Et je dois bien avouer que ce fut une chouette surprise. 

C'est un film très amusant, où l'on passe d'un personnage à l'autre, d'un lieu à l'autre, toujours avec une forme d’espièglerie légère et réjouissante. Chaque personnage a quelque chose de décalé, parfois presque dérangeant (Joseph qui met des micros sous le lit de sa mère et est fasciné par les histoires de meurtre ; Eve qui est folle amoureuse d’Abel depuis l’enfance ; Marianne qui semble manipuler secrètement les sentiments d’Abel, et Abel enfin -Louis Garrel lui-même-, homme aimé et désiré qui se débrouille quand même pour se faire trimbaler comme un benêt d’appartement en appartement), et il y a toujours une certaine bienveillance à l’égard des émois et des petites obsessions de chacun. Parfois les sentiments qui se jouent sont intenses et inconfortables (il est notamment question d'un deuil) mais le film parvient à les appréhender avec un élan de fraîcheur qui touche au comique, tout en restant toujours très à l'écoute. 

Le film est parsemé de petites étrangetés (l'ellipse de 10 ans qui sonne comme une simple infidélité, Abel regardant pensivement des reportages de guerre, la serveuse du restaurant faisant des signes du regard pour contredire les conseils culinaires de son chef...) et fonctionne comme une sorte de jeu d’imbrication d’espaces et de situations, ce qui le rend très ludique. J’y vois un vrai plaisir de fabriquer un film, plaisir sincère et pas malin plaisir, plaisir artisanal de faire tenir des plans (malgré des maladresses), de faire exister des personnages, puis de les regarder vivre... Il y a là une simplicité et une honnêteté qui se font rares et qui, lorsqu’elles apparaissent, même pour des petits films sans grande importance comme celui-ci, sont à apprécier.

dimanche 6 janvier 2019

Les bannis de la Sierra

Vu à l’instant Les bannis de la Sierra (1952), de Joseph Newman. Par moments, j'ai eu l'impression étrange que le scénario allait plus vite que la mise-en-scène, ce qui fait que l'usinage hollywoodien devient particulièrement visible ; toutes les petites combines sont mises en évidence (ex : la musique s'enclenche souvent avant que l'émotion ne prenne corps dans le plan), et il s'en est fallu de peu pour que la recette secrète de l'"art d'usine" soit révélée au grand jour (et son effet anéanti du même coup). C'est un film des petits contrastes (le feu/la neige ; la maison/la tempête ; les femmes en blanc/les hommes en noir), qui fonctionnent un peu mais jamais complètement -n'est pas Tourneur qui veut. Le film d'un dilemme irrésolu, d'un non-lieu à mi-chemin entre une mise-en-scène plan-plan et un scénario précipité, là où ceux qui n'ont pas d'espace propre (les laissés pour compte du western) jouent aux cartes en attendant la fin de la tempête, et celle du film. "Ça nous laisse le temps de faire connaissance !" 

Deux belles choses, qui existent singulièrement dans ce petit film pas mal foutu : 
- Anne Baxter, qui est au milieu, entre deux rythmes, entre deux hommes, constamment dans le bon tempo et dans le geste juste. Son visage éclaire le film et participe à la mise en lumière de toutes ses composantes (agencées avec plus ou moins d'habileté). 
- la bagarre à la fin, dans la brume puis dans la neige : sèche, rugueuse, brouillonne et énergique. Le scénario ralentit, la mise-en-scène s'accélère, et tout concourt à faire de cette scène le moment le plus intense et le plus vrai.

« La chaleur des meules devint si forte qu’on ne pouvait plus s’en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des cré...