J’ai croisé deux enfants dans la rue tout à l’heure. Un petit noir et un petit blanc, avec un ballon de foot. Ils couraient pour avoir le bus (« Benjamin, dépêche-toi ! »). J’ai été étonné par leur façon de se déplacer au milieu des gens. Quelque chose dénotait. Ils semblaient ne pas se soucier de ce qui (se) passait autour d’eux, tout en ayant, malgré (ou grâce à) l’insouciante, une grande conscience corporelle de l’espace. Leurs corps se mouvaient aisément dans la foule, et chacun de leurs pas témoignaient d’une réelle lucidité physique de leur présence au monde. L’esprit encore préoccupé par les écrits de Daney, que je relis avec une joie immense en ce moment, je me demandai : « Comment pourrait-on les filmer ? ». Puis, à la suite, « comment filmer les enfants ? Que faut-il faire avec eux ? ».
J’ai repensé à deux films sortis récemment, qui répondent à la question de deux façons différentes. Amanda (Mikhaël Hers) d’abord, qui montre une fille de 7 ans vivant dignement le deuil de sa mère, sans pathos. On a loué un peu partout la performance attendrissante et « d’une justesse sidérante » de l’actrice. A moi, elle m’a semblé trop attendrissante pour être tout à fait juste. Je n’ai rien contre l’actrice, qui a fait son job comme elle a pu et s’en est sortie honorablement, mais c’est le regard que le cinéaste porte sur elle qui me gêne un peu. Disons que j’y vois de l’infantilisme : l’enfant est montré comme un être « inférieur », pas encore tout à fait accompli, qui ne voit pas encore vraiment le monde dans toute sa complexité, contrairement à l’adulte -le metteur en scène- qui ne peut pas s’empêcher de le regarder de haut, avec une douceur indiscutable mais aussi une forme de condescendance. Avant d’être un personnage, l’enfant est un objet d’attendrissement, fétichisé. (un symptôme : Amanda, 7 ans, s’exprime comme si elle en avait 5 -et la différence est non-négligeable à cet âge).
Dans L’homme fidèle, Louis Garrel aborde le problème avec davantage d’humilité. Joseph, le fils, est un personnage comme un autre, ayant droit lui aussi à ses idées, ses sentiments propres et la part de mystère qui caractérise tout bon personnage de cinéma. Le cinéaste s’amuse même des rapports de générations (Eve -à peine 20 ans- et Joseph, complices improvisés, partagent un goût pour une forme impudique et obsessionnelle d’espionnage) et semble tourner en dérision la tendance infantilisante lors d’une conversation savoureuse durant laquelle Abel (Louis Garrel), embarrassé, avoue clairement à Joseph qu’il ne sait pas comment se comporter avec lui : « quand je te parle comme à un enfant ça ne marche pas, et quand je te parle comme à un adulte ça ne marche pas non plus. Je dois te parler comment alors ? ». La réponse est donnée par le film : il s’agit de le considérer d’abord comme un individu, dans toute sa singularité, en laissant de côté la prétention de l’adulte qui croit détenir sur l’enfant le pouvoir du savoir.
Une idée : c’est peut-être en regardant l’enfant comme un adulte parmi les autres qu’on prendra enfin conscience qu’au fond, nous sommes tous des enfants.
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