Paradoxalement, mes études de cinéma me permettent de prendre mes distances avec le cinéma. Si on met de côté les deux premières semaines de ce mois de janvier qui furent assez chargées, je regarde beaucoup moins de films qu’avant depuis septembre. Et je me sens moins préoccupé par le cinéma. Je crois que j’ai trouvé une distance à laquelle j'aspirais depuis longtemps, et qui me semble profitable dans le sens où aujourd’hui je vois le cinéma à la fois dans ce qu'il a d'important et dans ce qu'il a de trivial. Je crois que la FAC (et pas seulement les cours de cinéma, je parle aussi -et surtout- du fait de baigner dans cette ambiance si particulière à l’Université) me fait mesurer à quel point le cinéma, dans la vie des gens, c'est l'un et l'autre à la fois : important, fondamental même, et trivial. C'est ce qui forme l'imaginaire, ce qui nourrit la représentation qu'on a du monde, et en même temps c'est un simple loisir, un passe-temps (voir Trois visages de Panahi, film essentiel sur la question). C’est quelque chose dont j’avais l'intuition depuis longtemps, mais je le sens réellement, intensément, depuis que je suis à nouveau mêlé aux "jeunes d'aujourd'hui" (ceux de ma génération). A quel point tous les gens autour de moi se fichent bien du cinéma, et à quel point, aussi, ça les forge et les nourrit (ou les enferme, ou les éduque, c'est selon). Et moi je suis dans la même situation, à la différence qu'à un moment donné le cinéma m'est tombé dessus, et j'ai choisi de l'affronter au corps à corps pour voir ce qu'il avait dans le ventre.
Mon rapport au cinéma se joue là dorénavant : c’est un rapport physique, qui m’engage tout entier. D’où mon affinité avec Mourlet et les Mac-Mahoniens sans doute, malgré leurs limites dogmatiques. Je reconnais volontiers le danger de leur côté réac, mais je ne peux m’empêcher de partager avec eux une fascination réelle pour ces sublimes morceaux d’univers contenus dans certains gestes de Walsh ou de Preminger, morceaux qui ne sont visibles dans leur pleine vitalité qu’à condition de se donner sans réserve au film -voire au cinéma. D’où aussi mon problème avec les films trop théoriques, les petits jeux de l’esprit (certains Akerman, Hong Sang-Soo…) qui semblent ne pas trop se préoccuper de transformer les idées en matière vivante. D’où, enfin, ce besoin d’en découdre, c’est-à-dire de chercher à démêler les fils, pour voir. Quitte à m’emporter, à me tromper, à revenir en arrière... Mais toujours prendre position, et la défendre. Puis changer de position, me décaler, me retourner… En somme, j’oscille entre un doute constant et un dogmatisme forcené, qui me permet d’avancer. Ainsi les idées fusent, c’est très stimulant, je progresse vite et bien. Mais en contrepartie, il est parfois difficile de me suivre (« mais enfin tu pensais ça il y a 6 mois, et maintenant tu dis le contraire ! »), et tout aussi difficile pour moi de communiquer.
Depuis près de deux ans, quelque chose s’est stabilisé. Quelque chose qui tourne autour de Daney, Skorecki, Biette, Rivette, Godard et Straub, en gros. C’est-à-dire :
- Cinéma = cinéma classique hollywoodien. « Art d’usine » (Skorecki). Artisans > artistes (Farber).
- Rapport privilégié et précieux du cinéma avec le réel (Bazin).
- Travelling affaire de morale (Godard, Rivette et Kapo, Daney, Mizoguchi, etc).
- Auteurisme, maniérisme, cinéma filmé, effets-cinéma... = poubelle.
- Cinéphilie (depuis les années 60) = bourgeoisie = ennemi.
- Toujours se poser la question du politique (Brecht, Straub, Godard).
- Innocence coupable du spectateur (Hitchcock, Lang, Moonfleet surtout).
- Salut possible par le théâtre : modernité ? (Biette).
- « tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma » (Renoir).
Tout ça constitue un socle, auquel je ne cesse de revenir et à partir duquel j’affine ma pensée (celle du cinéma mais aussi celle du monde).
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