mercredi 15 janvier 2020

Vu hier après-midi en salle Séjour dans les monts Fuchun (2020), le premier film d’un chinois du nom de Xiangang Gu, que Blaise m’avait recommandé, et hier soir Sinbad : la légende des sept mers (2003) de Dreamworks, avec Lorine, mais peu de choses à en dire… Le premier m’a ennuyé : trop pesant, d’une ampleur trop revendiquée… Le second m’a diverti, mais rien de plus, c’est un produit de bonne tenue mais je ne suis pas sûr qu’il ait un grand intérêt. Pour le sentiment de la noblesse du pirate, autant revoir Le Voleur de Bagdad (1924) ou Anne of the Indies (1951), desquels le film de Dreamworks tire sans doute une partie de son souffle chatoyant et aventureux -on y perçoit le squelette d’une rigueur classique. 

J’éprouve le sentiment paradoxal d’être un peu fatigué du cinéma -et plus encore de la cinéphilie, de laquelle je parviens enfin à me distancer ces dernières semaines- mais d’avoir de franches envies de film, et d’écrire à propos des films. Ceux que j’ai aimés récemment m’accompagnent et me font du bien. Je repense beaucoup au plat fumant de pommes de terres déposé sur la table dans Ins’t Life Wonderful, et à ce moment dans la forêt où soudain le souffle de l’environnement semble venir en aide aux personnages fatigués de leur labeur. Réminiscences aussi des fantômes fordiens, et de son amour des personnages -désir d’en (re)voir d’autres, bientôt. Obsession de Nana de Massadian, et de cette petite fille si extraordinairement libre et responsable de sa présence dans le monde. Je suis particulièrement sensible, ces derniers temps (mais ce depuis longtemps), à ce qui touche à une forme d'écoute et d'attention réelle aux enfants. Je crois que ça manque, qu'on a normalisé un rapport de pouvoir et d'autorité d'une violence terrible, si ancré qu'il se manifeste même à partir d'intentions tout à fait bienveillantes. Et c'est très douloureux, ça, pour moi, ce terrorisme contre l'enfance. Alors quand je vois des moments d’authentique liberté, où un enfant, ne serait-ce que quelques instants, n'est plus soumis aux lois du monde des adultes, je suis comblé de voir qu’on a su se montrer vraiment à l’écoute. Belle émotion dans Tommaso lorsque la petite Deedee, revenant du parc, répond à sa mère qui lui demande comment s’est passé sa journée par un "Elisa a pleuré", comme si cette empathie éprouvée pour son amie était l’événement premier, plus important que les plaisirs de la glace ou de la balançoire. Il y a là un sens inné de la priorité, de ce qui compte, qui souvent se perd par la suite, encombré par maintes conventions et une grande part d’inattention -à soi, aux autres. 

Très préoccupé aussi, par extension, par les questions d’éducation. J’en parle souvent autour de moi. Je me sens très seul à voir dans l’idée-même de l’école telle qu’elle existe (un prof faisant autorité devant un groupe d’élèves, des savoirs à transmettre -les mêmes pour tous-, des règles strictes et rigides -devoir, horaires-…) une forme de fascisme. Mêmes les réformistes les plus tenaces croient encore quand même en l’idée d’éducation, en la force du savoir. Moi, je n’y crois pas. Je ne suis même pas sûr d’y avoir déjà cru. Mon rapport à l’école a toujours été compliqué : quelque chose au fond de moi y a vu dès le départ une forme d’absurdité, et malgré l’aisance que j’avais à me jouer des contraintes imposées, j’ai beaucoup souffert de leur grande violence. Un film aujourd’hui me paraît nécessaire : En Rachachant (1982) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il dure 8 minutes, est adapté d’un texte de Marguerite Duras. C’est l’histoire d’un enfant, Ernesto, qui refuse de s’instruire parce qu’à l’école on lui apprend des choses qu’il ne sait pas. « Mais alors comment l’enfant Ernesto envisage-t-il d’apprendre ce qu’il ne sait pas encore ? » lui demande son professeur. « En rachachant » répond-t-il. Le film est hilarant. On y voit tout : le fascisme et l’absurde. Et l’on se dit -je me dis- qu’il ne nous reste plus qu’à rachacher, comme Nana dans le film de Massadian, ou comme Deedee dans Tommaso, qui regarde la danse d’une femme à la télé puis la reproduit seule, à sa façon, dans le couloir de son appartement. On n’apprend rien à un enfant, ni à quiconque : chacun se forme seul. La meilleur chose que l’on puisse faire pour l’autre est de peupler son horizon, sans force, sans oppression. Ne pas convaincre, ni obliger. A lui seul, adulte comme enfant, devrait revenir la responsabilité de choisir si ce qu’il voit peut lui servir d’exemple.
Ces mots de Duras encore, qui sans cesse me reviennent : 
« On ne peut jamais obliger un enfant à lire. 

L'enfant qui est puni parce qu'il lit des bandes dessinées, cessera peut-être de lire celles-ci, mais il ne passera jamais sur ordre à d'autres lectures. Ou alors on l'endoctrine, et ce résultat est le pire de tous. En Allemagne hitlerienne, en Russie soviétique, il n'y a que des films dogmatiques. Le résultat obtenu est le pire de tous. Il n'y a qu'à voir ce qu'a donné l'obéissance inconditionnelle des troupes et du personnel du P.C.F., ce nivellement de l'intelligence, ce déplacement horrible de la personne à son cadavre. Ça a donné les jeunes catéchisés nazis ou soviétiques, les jeunes soldats de Prague et de Kaboul. On ne pourra jamais faire voir à quelqu'un ce qu'il n'a pas vu lui-même, découvrir ce qu'il n'a pas découvert lui seul. Jamais sans détruire sa vue. Quel qu'en soit l'usage qu'il en fait, sa vue. 

Ce spectateur, je crois qu'il faut l'abandonner à lui-même, s'il doit changer, il changera, comme tout le monde, d'un coup ou lentement, à partir d'une phrase entendue dans la rue, d'un amour, d'une lecture, d'une rencontre, mais seul. Dans un affrontement solitaire avec le changement. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

« La chaleur des meules devint si forte qu’on ne pouvait plus s’en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des cré...