Revu pour la troisième ou quatrième fois ce film dont j’aime dire qu’il est pour moi l’un des plus agréables au monde (disons premier à égalité avec Hatari ! de Hawks). Très légère dévaluation. Comme l’impression que quelque chose s’essouffle un peu, qui tient à ce qu’est le film : rien de plus qu’un amusement, un pur plaisir. Mais quand même, quel plaisir ! Rohmer, alors sûr de son art, routinier infaillible, incapable de rater un film, s’autorise presque une heure d’intermezzo à l’air libre entre deux morceaux de rohméritées bricolées dans un tout petit appartement dépourvu de cuisine. A sa disposition un lieu vert et ouvert, les Buttes-Chaumont, une jeune actrice frivole et exotique aux airs de Cluny Brown, Anne-Laure Meury, et l’argument d’une filature pour permettre de construire un suspense palpitant à partir de quelques pas et d’un ou deux regards. Nous voilà en plein film d’espionnage improvisé, au milieu des passants qui passent et sont accueillis par la caméra comme des fictions en puissance (comme au début des Espions de Blaise, où se succèdent sur la place quantité de lyonnais dotés de lunettes de soleil, potentiels espions se promenant innocemment au beau milieu du film). Respirations autonomes, circulations tranquilles des bruits du monde : c’est l’hospitalité rohmerienne, toujours touchante (ces enfants qui courent sur le muret où se tourne la scène, montrés quand même malgré le faux raccord), importante à redire encore au temps où un certain cinéma parisien revendique une filiation en oubliant ce trait fondamental, cette ouverture sur le dehors -Paris, la France, l’époque, les autres surtout, qui ne sont pas les petits bourgeois mais qui sont là aussi, histoire de dire « le parc des Buttes Chaumont n’appartient pas au cinéma ».
L’histoire, donc, d’un jeu de piste imprévu, comme une récréation entre deux scènes longues et pénibles (pour les personnages, et pour le spectateur aussi s’il n’y avait pas cette grande bouffée d’air infusant sur le reste), qui s’invente à partir d’une rencontre avec une actrice. Ou peut-être est-ce une petite fée, apparaissant lors de la sieste pour enchanter la journée de sommeil ? Elle semble faite pour ça : sourire et faire sourire. Procurer un plaisir qui est un vrai plaisir de cinéma, celui de jouer à deviner ce qui se cache derrière les apparences. Juste comme ça, pour s’amuser. Prendre le désir, et son revers la peur, dans leur aspect ludique : en faire une comédie. (c’est le côté Hitchcock, La Mort aux trousses). Le merveilleux du film, c’est le visage lumineux de Philippe Marlaud au café en face du cabinet de l’avocat. Lui qui était pataud, collant, un peu benêt, à s’embourber tout seul dans une sentimentalité gluante, acquière une sympathie qui n’était pas gagnée d’avance au contact d’Anne-Laure Meury. Et lorsqu’il se prend tout à fait au jeu, lorsque la joie de partager un peu de ses histoires perso sous la forme d’une distraction d’après-midi fait pétiller ses yeux, alors je crois qu’à ce moment-là il est devenu beau.
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