samedi 11 janvier 2020

Merveilles à Montefermeil (2020) - Jeanne Balibar

Un film authentiquement déjanté, d'une fantaisie sans limite. Ça se passe à Montfermeil, on y suit le quotidien des employés de la municipalité à partir du lancement d'une nouvelle politique, qui se veut multiculturaliste (Mathieu Amalric lance la Montfermeil Intensive School of Languages), patiente et reposante (plein de mesures visant à prendre le temps, et notamment une sieste obligatoire !). Ce qui m'a touché, entre autre chose, c'est la façon dont l'enchantement des conditions de travail de cette municipalité, couplée aux personnages tous plus loufoques les uns que les autres -et toujours honorés dans leur loufoquerie singulière-, dont la rencontre donne lieu à des situations parfois complètement farfelues, c'est la façon dont tout ça, donc, cohabite sans trop de problème avec la bonne tenue du travail à faire. C'est un vrai beau film sur la vie de bureau et le fonctionnariat, où l'on voit les réunions, les projets, les liens avec les habitants, les pressions de la préfecture, les tensions entre collègues... Le tout, donc, dans une ambiance bordélique à souhait mais très à l'écoute du rythme de chacun, où les tâches sont effectuées et où la vie de quartier se passe bien. Ça là que réside l’intelligence politique du film : prendre les choses telles qu'elles existent (car le film sait ce que c'est qu'une réunion, un rendez-vous, etc, et ne triche pas avec ça), les perturber, les enchanter -y introduire le merveilleux-, et montrer que ça marche. Il y a quelque chose là-dedans de révolutionnaire -d'où peut-être l'accueil critique si mitigé. 

Et puis quand même, c'est d'une sensualité ! C'est extraordinaire ce que font les acteurs avec leur corps : postures, mouvements, jeux de voix... Il y a une forme de burlesque sophrologique, où le jeu des corps assouplit et relâche le rythme saccadé du film. Ramzy, à nouveau, est magnifique : un homme câlin qui caresse tout ce qui bouge (et même ce qui ne bouge pas, comme les dossiers papiers de son bureau) et que tout le monde vient étreindre pour un peu de réconfort (jusque dans Second Life auquel il joue sur son ordinateur !). Il y a cette scène ahurissante -elles le sont toutes ou presque- durant laquelle il arrive à l’hôpital derrière un médecin assis et lui pose ses mains sur les épaules avant de l'enlacer progressivement tout en discutant avec la patiente. On se rend compte alors avec stupéfaction qu'on ne touche jamais un médecin (et surtout pas d'en haut, les mains sur les épaules) : il est une figure d'autorité, savante et froide. Mais dans ce film on ose le chaleureux, les contacts, et l'on tire sur les rapports de pouvoir comme sur quelque chose de malléable et d'extensible plutôt que dur et droit (pas de phallocratie !). 

Et puis quand même : Emmanuelle Béart maire merveilleuse, comme une enfant (joueuse, attendrissante et capricieuse). Et puis un couple : cette femme qui ne supporte pas de ne pas être déguisée ; cet homme qui n'a pas de désir sans la déshabiller. Désaccord, trouble dans la relation, puis terrain d'entente (trouvé en partie grâce à l'aide des deux conseillers sexuels engagés par la mairie pour aller de maison en maison) : la femme mettra dorénavant deux déguisements l'un par-dessus l'autre, pour que son amant puisse en retirer un mais qu'elle reste déguisée -alors le désir et le plaisir charnels s'épanouissent à nouveau. Et puis le rap, pris vraiment pour ce qu'il est, sans condescendance ni fétichisme : une musique qu'on peut écouter et aimer (qu'on écoute et qu'on aime, à Montfermeil), dont on peut se servir comme n'importe quelle autre dans un film sans en faire un fromage, sans se la jouer djeuns ou décalé (du coup, le fromage, c'est moi qui le fais). Et puis les rencontres avec les habitants du quartier, presque documentaires, pleines de respect. Et puis la comédie de remariage discrètement infiltrée. Et puis Anthony Bajon, cantonné jusqu'alors à des rôles de gamin de campagne inadapté (il a eu l'Ours d'argent en 2018 pour son rôle dans La Prière, le navet de Cédric Kahn), ici très réjouissant dans son association complice avec la vieille Bulle Ogier. Tous deux fomentent des plans mystérieux et adressent à la mairie des lettres secrètes signées "quelqu'un qui vous veut du bien". Merveilles à Montfermeil est comme l'une de ses lettres : une proposition révolutionnaire pour un quartier -et un pays- à qui elle veut du bien.

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