En y repensant, je me rends compte que Boetticher est un cinéaste auquel je reviens souvent depuis que je l'ai découvert. Je n'ai vu que sept de ses films en deux ans (les sept avec Randolph Scott), mais quelque chose de son cinéma me touche au point où j'ai le sentiment d'une constante proximité. Qu'est-ce qui me touche alors, chez Boetticher ?
D'abord peut-être sa profonde intégrité. C'est un cinéaste qui ne triche pas, qui montre les choses comme elles sont, avec franchise. C'est de cette franchise-là que naît, je crois, la forte impression de relief et de couleur éprouvée devant ses films. Reliefs et couleurs de la nature, bien sûr (les montagnes, les plaines, le soleil, le marron, le vert... tout ça est toujours superbement filmé), mais aussi des personnages, qui ont toujours leurs raisons même lorsqu'ils commettent des actes immoraux. Ces actes sont réprouvés (au point où, souvent, les personnages en meurent), mais jamais leur motivation intime n'est condamnée. Tout le monde a ses raisons, certes, et aucune d’elle n’est mauvaise, mais la vie en société nécessite de faire des choix, et parmi eux certains -ceux qui tiennent compte des raisons des autres- sont meilleurs que d'autres.
Ce qui me touche, chez Boetticher, c'est aussi ce sentiment très vif de l'air qui passe dans les plans. Je me souviens de Godard disant dans une interview à Cannes que les américains se souciaient surtout d'espace et assez peu de temps (à l'exception d'Ulmer avec Détour). Je suis plutôt d'accord, sauf qu'il citait Boetticher pour exemple, ce qui m'a toujours paru inapproprié dans la mesure où Boetticher me semble être au contraire le parfait contre-exemple. C'est peut-être le premier cinéaste américain du temps, du contre-temps, de l'air du temps. Certes, on traverse souvent chez lui de grands espaces, mais l'enjeu premier est toujours moins la traversée que les moments de pause, où l'on s'arrête boire un café (ah le café de Boetticher !), discutant tranquillement des souvenirs et des projets d'avenir. Il y a là comme une présence pure, matérielle, des êtres et des choses, qui se place dans le creux entre le passé pesant et le futur rêvé. C'est ça, l'air du temps. C'est aussi, bien sûr, la fin des studios, les derniers petits films de série B, mis en boîte avec métier mais aussi avec un avant-goût de vacances, et le sentiment d'un dehors (venu d'Europe ?) qui s'infiltre dans les plans. Ce qui me touche, au fond, c'est sans doute cette alliance parfaite entre application et décontraction, ce plaisir pur de travailler, cette capacité à faire tenir des plans qui débordent de toute part du bonheur de filmer... bref cet air-là, rozierien, qui contamine une partie du cinéma américain de cette période (Hatari !, Donovan's Reef, je les aime d'amour), pris d'un ardent désir de liberté, prêt à déserter Hollywood pour faire un saut dans le monde, et dont Boetticher se trouve être, discrètement, le plus parfait représentant.
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