J’ai très envie d’écrire à propos ou à partir de Westbound (1959) de Budd Boetticher, car c’est un film qui m’a beaucoup marqué, récemment. Mais qu’en dire ? La difficulté, avec un film comme celui-ci, c’est que tout est bâti avec une telle transparence qu’il y a toujours comme une crainte de trahir le film en tentant de montrer avec quelle force tiennent ses invisibles fondations. L’art de Boetticher, c’est le savoir-faire du classicisme hollywoodien porté à un niveau d’excellence, au service de petites histoires politiques vécues par des personnages toujours émouvants, composés et filmés avec le plus grand soin. Des films dans lesquels on perçoit toujours le travail d’équipe, comme une troupe de théâtre ou comme un petit groupe d’ouvriers œuvrant à la construction d’une maison. Il y a quelque chose de fait main, et l’on sent, du reste, chez les acteurs comme dans la tenue des plans (la couleur, la lumière…) un ancrage très physique, presque tellurique, dans le monde. De l’air passe, indéniablement. Impression similaire à la lecture d’une pièce de Brecht : les westerns de Boetticher seraient comme des petits théâtres politiques pour lesquels on a creusé des plans (chez Brecht, ce sont des mots) à même la Terre.
Difficile aussi de parler de Westbound car c’est un film d’une extrême concision. Il dure 1h08 mais prend le temps de déployer -sans précipitation- un nombre d’enjeux et de personnages assez conséquents. Pour autant, tout reste toujours parfaitement clair et limpide, chaque personnage existe intensément à l’écran (toujours animés de cette tension, toute boetticherienne, entre projets d’avenir entravés et réminiscences des erreurs passées). Notons d’ailleurs que c’est le seul du cycle des sept westerns avec Randolph Scott dans lequel il y a deux personnages féminins importants (une paysanne et une riche bourgeoise) et les deux se ressemblent assez, physiquement. Ce sont Karen Steele, que l’on avait déjà vue chez Boetticher, rayonnante, dans Decision at Sundown et Ride Lonesome, et la sublime Virginia Mayo, sublime déjà dans les films de Tourneur (L’or et l’amour, La flèche et le flambeau) et de Walsh (Capitaine sans peur, White Heat, Along the great divide et surtout le sommet des sommets Colorado Territory). Cette concision, donc, est au service d’un équilibre compact et délicat, faisant forme harmonieuse du contact entre les éléments naturels (décors, acteurs, objets...) et la matière narrative. Elle est aussi, je crois, le signe d’une liberté confiante accordée au spectateur, qui peut regarder plaisamment le film passer en se rendant à peine compte de sa remarquable solidité, ou bien se montrer attentif à tout un tas de petits détails qui révèlent -ou plutôt masquent- le travail minutieux des artisans qui en sont les auteurs.
L’un d’entre eux, pour l’exemple : au début du film, le capitaine John Hayes (Randolph Scott) entre dans la tente du colonel, qui est accompagné d'un certain Jim Fuller, bourgeois bien habillé. Celui-ci se lève, lui serre la main et lui demande frivolement, comme on demanderait à quelqu'un qui revient de vacances, "Well, what's happening on the line ?". Randolph Scott, alors isolé dans le plan, répond simplement "A war". Ce "A war" n'est pas froid, pas brutal, surtout pas cynique... Il dit la gravité de la guerre comme une évidence, dans ce qu'elle a de plus profondément et tristement banal. Il y a, dans cette réplique, tout Randolph Scott, l'homme et le mythe, l'impassibilité de la voix présente et l'écho de la charge du passé. Il y a aussi, dans ce "A war", -et c'est le plus important- toute la guerre, exprimée en deux mots, à l’apparence limpide et anodine. S'il fallait trouver un modèle idéal à la méthode straubienne, dans l'adéquation la plus juste du dit et du dire, du corps et de la voix, de la voix et de la parole... C'est peut-être chez le Randolph Scott façon Budd Boetticher qu'il faudrait aller chercher. Et Westbound aurait pu s’appeler Non réconciliés (ou Seule la violence aide là où la violence règne).
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