Et si Maine Océan (1986), de Jacques Rozier, était le meilleur film français ? Meilleur film français, c'est-à-dire à la fois meilleur film d'une production française, mais aussi meilleur film de ce qui est français. Car Maine Océan a en lui une force politique extraordinaire, comme un éclat populaire, si je puis dire, un éclat typiquement français, d'une beauté, d'une justesse et d'une intensité incomparables. Il faut voir la scène du procès, et ce duel de langage drôle et étonnant qui débouche sur une terrible injustice due à un bête processus de reconnaissance de classe (le juge entend mieux les arguments du bourgeois car ils sont formulés dans une langue qu'il connaît et partage, tandis qu'il ne comprend rien ou presque à ce que lui dit Marcel Petitgras, pourtant honnête et tout à fait dans son droit). Il faut voir aussi le contrôle des billets dans le train, qui ouvre le film, et la confusion qui règne, à cause du langage là encore (celle qui est contrôlée est brésilienne et ne parle ni français ni anglais, ce qui rend la communication avec le contrôleur bien compliquée), mais aussi des effets produits par les charmes de la brésilienne sur cet empoté de Bernard Menez, gêné dans son travail par les circonstances. Puis ce même Bernard Menez, sur la fin, qui voit naître un rêve de gloire américaine, avant que ce rêve ne soit anéanti dès le lendemain, le poussant à retourner à son boulot quotidien, riche quand même de la belle expérience d'ouverture à l'autre qu'ont constituées ces vacances improvisées. Bref, il y a dans Maine Océan un état français, résistant -parce qu'il est- à l'Etat majuscule. Résistant parce qu'il est, c'est-à-dire luttant par son existence-même, au sein du film comme au sein du pays -Rozier ne fait, au fond, que le mettre en lumière-. Cet état est celui d'une vitalité exaltante, attaquée de toute part par une violence des rapports, qui trouve sa source dans la rigidité des postures officielles (le barman, le juge, le producteur, le contrôleur, l'avocate... chacun semble enfermé dans les automatismes de son rôle social) et dans l'incommunicabilité qu'elle engendre (si chacun reste à sa place, immobile et les yeux tournés vers lui-même, il est bien difficile de se montrer à l'écoute de ce qui se joue pour l'autre).
La solution proposée par Rozier est de mélanger tout ce beau monde et de faire éclater les postures, grâce à ce remède miraculeux dont il semble être le seul, de tous les cinéastes, à connaître le secret : les vacances. Maine Océan entrevoit donc le rêve d'une France en vacances, provisoirement débarrassée de ce générateur de violence qu'est la "contrainte professionnelle". Mais qui dit vacances, ou rêves, dit aussi réveil et retour au boulot, dont le spectre hante tout le film (comme il hantait déjà Du côté d'Orouët, 1973, film bien plus triste qu'il n'y paraît) jusqu'à venir heurter presque tragiquement le personnage de Bernard Menez. Je dis "presque", car la beauté de cette fin tient dans cette double idée du boulot, comme retour tragique à la réalité, donc, mais aussi, à travers tous ces gens qui aident tour à tour Bernard Menez (et en particulier ces marins, qui le transportent en bateau pendant une scène particulièrement longue durant laquelle le temps lui-même est travaillé), comme plaisir simple, honnête, physique, détaché de toute posture. Ce que nous montre Maine Océan, c'est que ça peut aussi être ça le travail : non plus la contrainte professionnelle ou le poids de la ligne de conduite officielle, mais plutôt l'exercice d'une présence active au monde, pour faire ludiquement et agréablement l'expérience du temps et de l'autre. Travailler à être soi et à jouer avec les autres. Autrement dit, ce que nous montre Maine Océan, comme chacun des films de Rozier, c'est que des vacances comme celles-ci, surprenantes, stimulantes et aventureuses, c'est déjà du travail. Peut-être même que c'en est la forme la plus aboutie (c'est en tout cas la plus épanouissante).
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