Vu à l’instant Bonjour tristesse (1958) d’Otto Preminger adapté du best-seller de Françoise Sagan, avec Jean Seberg dans le rôle de Cécile. Je n'ai pas lu le roman, et je dois dire que le film tend à me dissuader de le faire. Cette petite histoire de jeune fille semble un peu idiote, faussement authentique, d'une nouveauté de carte postale (et entendons-nous bien, je n'ai rien contre les cartes postales, mais il faut bien dire que la nouveauté n'est pas leur fort, l'idée étant avant tout de reconnaître un lieu ou un état, c'est-à-dire de faire nouveau, si l'on veut, au lieu d'être nouveau)... Bref, tout ce que j'ai vu dans Bonjour tristesse de Preminger porte à croire que le livre dont il est tiré est plutôt mauvais... Pourtant le film est bon. Il est bon, non pas car son auteur prendrait une quelconque distance avec le matériau qu'il adapte (le film est très fidèle, parait-il), mais plutôt parce qu'il le prend comme matériau, justement. Et la distance qui importe n'est pas celle qui sépare le scénario d'Arthur Laurents du livre de Françoise Sagan, mais celle prise par la mise-en-scène par rapport à son sujet. Quel est le sujet de Bonjour tristesse selon Preminger, alors ? Les minauderies de Cécile ? Non, évidemment... Ce qui intéresse notre cinéaste, c'est avant tout l'actrice. Disons même les acteurs, pour être plus juste, car Deborah Kerr, Mylène Demongeot et David Niven ne sont pas en reste. La relation père-fille qui se joue entre ce dernier et Jean Seberg, d'une opacité perverse toute premingerienne, existe à l'écran non pas grâce à une prétendue ambiguïté pré-écrite, mais bien parce que les acteurs se regardent, se touchent, ne se touchent pas, se meuvent, se parlent et sont ensemble d'une façon telle que l'ambiguïté s'offre d'elle-même à notre regard. De même le dialogue, souvent d'une mièvrerie adolescente, devient grâce au chef d'orchestre Preminger la partition d'une musique jazzy, constamment harmonieuse, qui coule si agréablement dans l'oreille qu'on en perdrait la tête.
Filmer à en perdre la tête : c'est peut-être ça, l'art de Preminger. L'intelligence du metteur en scène le plus adroit d'Hollywood est de laisser son intelligence de côté pour faire corps avec la caméra. Ainsi les mouvements d'appareil, d'une souplesse sans égale, se confondent-ils avec ceux du regard ; ainsi les pulsations du film laissent-elles à penser qu'"un cœur bat derrière l'objectif" (la formule est de Biette). Ce qui est beau, dans Bonjour tristesse, c'est donc Jean Seberg chantant ses répliques, jouant à la méditation sur son lit ou courant à travers les arbres à la poursuite de Deborah Kerr. C'est aussi David Niven, en tenue de vacancier, rayonnant du bonheur d'être acteur. Et puis le vent dans les vêtements, les vagues s’écrasant sur la plage, le relief coloré de la villa... Il y a, dans cette légèreté de jeu, cette fraîcheur toute musicale et cette liberté prise vis à vis de l'assisse narrative, comme un esprit de Nouvelle Vague. En 1958, à Hollywood, le cinéma commence à se faire la malle. Les grands artisans en profitent pour danser sous le soleil avant qu'il se couche, et filmer le joyeux bordel avant qu'il devienne plus bordélique encore, et moins joyeux. La décontraction sereine (déjà consciente d'elle-même) de Preminger et sa troupe est la même que celle de Frank Sinatra dans Comme un torrent (1958, Minnelli), ou celle d'Angie Dickinson dans Rio Bravo (1959, Hawks). Il y a de l'air qui commence à passer dans les studios, ça fait plein de trous dans le cinéma. Ceux qui sentent le sentent, et en font de superbes films de jeunesse (Comanche Station, Hatari !, Donovan's Reef...). Ceux qui ne sentent pas le sentent quand même, et tentent vainement de boucher les trous (c'est Cléopâtre de Mankiewicz). Preminger, bien sûr, appartient à la première catégorie. Il suffit de voir Bonjour tristesse (tout est dans le titre).
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