Visite à Orsay aujourd’hui (une première pour moi). A l’étage des impressionnistes, c'était à la fois très beau et un peu déstabilisant de voir du Cézanne au milieu des autres, parce qu'il n'avait rien à faire là, au musée, à prendre la pose. Ce n'est pas un artiste, c'est un artisan. Monet est un virtuose, chaque toile a quelque chose d'instantanément plaisante à l'œil, il a atteint un tel degré de perfection que c’en est parfois presque gênant. J'aime certaines de ses toiles, mais pas toutes : Le Mont Kolsaas en Norvège est une œuvre sublime, c’est le moment où l’extraordinaire habileté du pinceau de Monet s’accorde à la sensibilité de son regard en délaissant toute fioriture, là où la courbe et la couleur n’existent plus que pour elles-mêmes, à la limite de l’abstraction. Monet est un peintre dont la finesse du trait est capable de tout sublimer. Tandis que Cézanne ne sublime rien, son trait est franc, direct. Il prend la réalité comme elle est : le ciel, l'eau, les arbres, les chemins... Tout est matière brute, belle par sa simple existence. Et la simplicité et l'existence sont précisément ce que restitue Cézanne sur sa toile, avec la modestie d'un artisan qui fait semblant de n'y être pour rien, s'effaçant presque entièrement devant la beauté du monde qu'il dépeint. Une toile de Cézanne est faite pour siéger au-dessus de la cheminée d’un paysan. Mais il y a quand même quelque chose de très fort à le voir aux côtés de Monet et d'autres. J'y vois l'expression d'une profonde humilité, qui fait acte de résistance face à toute tentative de séduction. Devant tous les ornements et les effets de ces de peintres qui n'ont jamais osé regarder la nature telle quelle est vraiment, Cézanne apparaît comme le plus grand de tous, et en même temps le plus trivial, celui qui n'a jamais rien fait d'autre que travailler de ses mains pour gommer les artifices d'un monde qui ne trouve le sublime que dans l'expression de sa plus profonde nudité.
Orsay encore, idées en vrac :
- Innocence enfantine de Van Gogh (pour ça qu’il est si populaire aujourd’hui, dans ce monde d’adultes trop adultes et trop conscients de leur culpabilité ?).
- Espièglerie de Gauguin, qui a l’air de bien s’amuser en peignant.
- Renoir est nettement meilleur lorsqu’il peint des êtres humains (dont les traits confinent à la bonhomie, comme dans les films de son fils -et comme son fils lui-même, dont le physique semble tout droit sorti d’un tableau d’Auguste-). Très impressionné par la justesse sociologique de La balançoire : l’homme draguant la fille qui se laisse courtiser, déjà à moitié conquise (les points bleus de sa robe s’accordent au vêtement du dragueur), la petite fille qui observe et apprend, le groupe en retrait et au fond, déjà « dans le monde »… Chacun est à sa place, et chaque place est mise en évidence, montrée comme une place, qui n’a de valeur que dans la composition d’un tableau social de son temps (l’oppression prend de la distance en devenant un jeu).
- Globalement assez peu touché par Pissarro, mais il y a tout de même quelques silhouettes qui me frappent, au sein de tableaux que je n’apprécie pourtant pas plus que ça. Je pense en particulier à cette femme assise sur le bord d’un petit fossé dans l’Allée de la Tour-du-jongleur et maison de M.Musy, Louveciennes, qui imprègne le tableau d’un mouvement qui n’existe pas sans elle (une impression du temps peut-être ? Elle semble prier, ou attendre…).
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