Devant Une affaire de famille, le dernier film de Kore-Eda (palmé à Cannes en mai dernier), j’ai repensé à ces mots de Daney, commentant un petit film de Walsh dans Trafic :
« Qu'ont fait les grands cinéastes sinon jouer d'une certaine violence formelle ? La frontalité panique des Ford, Bunuel ou Walsh n'est un trait « classique » qu'en apparence. Elle est tout aussi délirante que la violence, plus moderne, des Bresson, Rossellini ou Hitchcock. C'est cette violence que nous fétichisions, apprentis cinéphiles des années soixante, sous le mot trop calme de « mise en scène », l'opposant déjà au « scénario ». Aujourd'hui, ce n'est pas de « forme » que le cinéma manque. Ni de « fond », d'ailleurs. Mais d'une violence de cinéma qui fasse pièce aux nouvelles violences du lien social. »
Il m’a semblé que Kore-Eda tombait justement dans cet écueil. Impression tenace, après trois films (Notre petite sœur, Après la tempête et Une affaire de famille), qu’il y a parfois des choses mais que ces choses ne sont jamais complètement filmées, comme si Kore-Eda ne savait pas où placer sa caméra (ou pire : la plaçait par défaut). Les plans d’un grand cinéaste s’imposent d’eux-même comme une nécessité, comme s’il nous disait « c’est ainsi que j’ai regardé cet événement, et pas autrement ». Kore-Eda ne compose pas de plans, il cadre de façon plus ou moins hasardeuse une situation méticuleusement préparée, dont on peut entrevoir la beauté, mais qui aurait existé bien plus intensément à l’écran si elle avait été filmée. C’est peut-être un type bien (quoi qu’il y ait un soupçon de malhonnêteté et de racolage dans le projet fédérateur et consensuel d’Une affaire de famille -toutes les cases sont cochées en vue de la palme cannoise-), mais ce n’est pas un cinéaste.
Une pensée pour les séries qui, à de très rares exceptions près (sans trop m’y pencher je ne vois bien que Twin Peaks), n’ont pas cette violence formelle, et en pâtissent terriblement. Cas étonnant de Buffy contre les vampires, qui semble compenser par une extraordinaire matière narrative : on pourrait raconter sommairement Buffy, ce serait déjà magnifique. Le travail de mise-en-scène consistant alors simplement à rendre compte au mieux de l’implication des acteurs par rapport à leurs personnages et à l’expérience du temps qu’ils éprouvent. L’application formelle de Buffy est comparable à celle des artisans hollywoodiens de l’âge d’or (Henry King, Allan Dwan, Stuart Heisler… Voire Jacques Tourneur, dont la violence formelle -extraordinairement vivace- naît de la transparence-même de sa mise-en-scène). Tout est au service du drame qui se joue, mais ce sont les gestes, les regards, les actions, qui font circuler l’énergie au sein des plans, permettant aux enjeux moraux et sentimentaux, formidablement pré-écrits, d’exister pleinement à l’écran. La mise-en-scène tient alors avant tout d’un travail de mise en lumière de la matière narrative. Et, disons-le bien, la sensation du temps qui passe, affectant les corps et les esprits, n’a jamais été aussi intense et vive que dans les dernières saisons de Buffy.
(petite précision nécessaire : la violence formelle dont je parle, c’est ce que d’aucuns appellent le style, mais ça n’est ni la stylisation ni la signature, attributs ostentatoires des Ôteurs d’hier et d’aujourd’hui (WKW, PTA, NWR))
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