Hier nous sommes allé(e)s nous balader, Louise, maman et moi, aux alentours de Mars. Après quelques pas, un petit chien est sorti de derrière une haie pour nous accompagner. Il restait devant nous, en conservant une certaine distance, et nous regardait furtivement de temps à autre tout en feignant de ne pas nous prêter la moindre attention. Mais ses arrêt à chaque carrefour, dans l’attente de voir où nous tournions, trahissait le plaisir évident qu’il avait à trottiner en notre compagnie. L'air de dire : je suis avec vous mais pas à votre botte. Puis nous nous sommes quittés alors qu'il poursuivait sa route en direction du village (probablement son chemin habituel, qui formait une sorte de boucle), tandis que nous nous enfoncions dans la forêt, tous trois réjouis d’avoir goûté à cette amitié fortuite et passagère.
lundi 6 janvier 2020
dimanche 5 janvier 2020
Les Quatre fils (1928) - Ford
Beau film sentimental -quoi qu’il lorgne parfois avec le sentimentalisme- racontant l’histoire d’une mère dans un village allemand et de ses quatre fils, dont l’un part prospérer en Amérique et les trois autres meurent à la guerre. On découvre les quatre hommes grâce à une belle idée, qui les situe déjà dans une forme de devenir-fantômes : leur vieille mère ouvre à la suite chacun des tiroirs à leur nom et le film enchaîne chaque fois sur une courte séquence montrant le fils nommé à son travail. L’actrice jouant la mère est magnifique, on sent l’amour de Ford pour ce personnage, qui porte en elle le mythe de la figure maternelle (avec ce que ça comporte de traditionalisme discutable, bien sûr, mais qui a bien peu d’importance face à l’accompagnement empathique du film, dont les traits saillants tiennent bien plus à l’émotion singulière qu’à l’idéologie).
Quelques petites choses ne fonctionnent pas tout à fait : la séquence à la guerre est assez ratée, soit trop facile (le cliché du soldat qui meure dans les bras d’un camarade en adressant ses dernières paroles à sa mère), soit trop fascinée (la traversée de la patrouille dans la brume, faussement onirique, presque idéalisée), et le parcours de Joseph en Amérique est trop marqué par l’horizon merveilleux d’un modèle de réussite à l’américaine dont on peine à croire aujourd’hui (bien qu’il y ait cette scène étonnante lors de laquelle on voit le bébé se faire laver en direct, puis renverser involontairement la bassine d’eau).
Là où le film est le plus fort c’est lorsqu’il est hanté de fantômes, passés ou à venir. Comme ce moment bouleversant où le facteur, qu’on avait vu plus tôt sympathique et avenant, traverse le village d’un air pitoyable, avec une seule lettre à la main. Il la cache dans son dos, par crainte de la nouvelle ou par honte de la délivrer. Les villageois qu’il croise l’arrêtent, espérant le courrier d’un proche -le frère, le mari, tous partis au front-, mais il leur dit que ce n’est pas pour eux et compatit quelques secondes à leur désillusion avant de poursuivre piteusement sa route jusqu’à la maison de la mère. Elle lui ouvre, pleine d’espoir elle aussi. Elle apporte la lettre au dernier des fils pour qu’il la lise. Celui-ci s’exécute, et son visage se décompose. Sa mère le regarde : elle a compris. Dès le premier coup d’œil elle savait déjà tout. Mais elle le supplie du regard de lui avoir menti. De ses yeux plein d’une lueur d’espoir que l’on voit peu à peu s’éteindre, elle supplie Dieu de n’avoir pas compris. Puis elle va s’asseoir dans la chambre, au bord du lit. Elle reste là, immobile. La lumière de la fenêtre traverse la pièce depuis la gauche, et le dernier des frères vient s’effondrer de tristesse contre le mur de droite.
Dans l’émotion, je repense à ce plan plein d’un bonheur véritable, ce plan d’avant la guerre, où le plus âgé des frères déclame théâtralement la lettre dans laquelle Joseph, parti en Amérique, annonce que sa vie est belle et qu’il va se marier. La mère est assise dans son fauteuil, les deux autres sont à son chevet, tous complices de ce bonheur d’alors.
Et puis, plus tard encore, le plus petit des frères est appelé au front, et meurt lui aussi. La mère, seule à sa table, fait sa prière, quand soudain apparaissent les spectres de ses quatre fils, priant aussi puis s’amusant avec le pain. Elle sourie, et ce fantôme éphémère du bonheur s’évapore en même temps que les spectres des fils. Fatiguée, la vieille femme va s’asseoir sur son fauteuil près de la porte, et s’endort, sans plus de lettre à la main.
le prince et le meunier
Il y a, je le crains, une colère divine
Qui déploie son courroux, nous fait courber l’échine.
Ne vois-tu pas, ô Prince, toutes ces manigances ?
Ces petits jeux des hommes passés sous ton silence ?
Je refuse cette justice qui tire ses lois du ciel.
Vois la terre, touche : nous ne sommes pas immortels !
samedi 4 janvier 2020
Notre dame (2019) - Donzelli
Film boulimique. Plein de petites idées dans tous les sens, certaines drôlement fines (les parisiens de mauvaise humeur se mettent des claques au hasard dans la rue, et c’est devenu banal), d’autres justes et brèves (le « salut les filles ! » de l’ado boutonneux s’adressant à sa sœur et sa mère en débarquant le matin dans le salon ; l’applaudissement légèrement trop tôt, avorté illico, de l’ami avant le discours public de Donzelli), et d’autres encore un peu balourdes (l’ex-compagnon collant qui revient dans l’appartement après une crise de cœur et se trimballe à poil à longueur de journée), voire carrément pénibles (l’avocate hystérique, qui finit par mourir d’un infarctus au moment d’entamer son discours au procès). Puis aussi les migrants au coin de la rue, les militaires laxistes (sauf quand ça les concerne), une charge gentille envers le journalisme, la politique ou le patronat… bref, ces petites choses dont on ne sait trop si elles sont prise en charge de la société actuelle ou caution « parisianisme contemporain ». Et tout ça s’enchaîne à toute allure, on n’a pas le temps de dire « ouf », on est contraints à suivre le rythme foutraque du stress bouillonnant de l’actrice-réalisatrice -parfaite dans son rôle : agitation modérée, anxiété refrénée, accélérations fractionnées-, jusqu’au trop plein : trop de trucs, trop vite, besoin de souffler. Et film sans doute bientôt déjà oublié.
J’ai pensé récemment qu’il y avait toujours, dans la moquerie, l’expression d’une oppression. On rit de l’autre dans sa différence et dans son caractère minoritaire. C’est un instrument très puissant (car banalisé et univoque) de ghettoïsation. C’est pousser l’autre dans ses retranchements, l’isoler dans une identité raillée car marginale -et donc captive dans sa marginalité-même, que l’on tolère à condition que son asservissement au pouvoir reste visible et incontesté.
Puis me vient à l’esprit Howard Hawks, qui a inventé, au sein d’un cinéma majoritaire (Hollywood), une forme de dérision minoritaire. Par l’humour, il a retourné contre elle-même la force oppressive et l’a faite chuter. La moquerie, chez lui, est toujours adressée à ce qui est au-dessus, en plein exercice de son autorité. Hawks en montre les failles, il souligne tout aspect pouvant être raillé. Comme, notamment, la virilité. Elle est une expression majoritaire, une norme si l’on veut, acceptée, acceptable, a priori supérieure, mais dans les films de Hawks elle se trouve ridiculisée. C’est, par exemple, Humphrey Bogart entrant dans la chambre de Lauren Bacall dans Le Port de l’angoisse, le dos non pas légèrement transpirant comme le voudrait un certain idéal masculin, mais dégoulinant de sueur, si excessivement virilisé que la virilité finit par s’écrouler. Et l’on s’en amuse, riant moins de Bogart que de la convention, dont l’absurdité nous saute alors aux yeux (l’inverse même de John Huston, cinéaste normé et dominant qui dans Le faucon maltais fait entrer Bogart dans la chambre de Bacall avec juste ce qu’il faut de moiteur au visage pour exalter le parfait modèle de masculinité). Il m’a toujours semblé que Hawks, pourtant bourgeois américain de droite, était l’un des cinéastes les plus subversifs, et je crois que sa subversion vient de ce geste-là, qui s’apparente à un croque-en-jambe malicieux faisant tomber le grand à hauteur du petit. On a beaucoup dit à son propos que c’était un cinéma « à hauteur d’homme », et c’est peut-être là une façon de signaler que tout ce qui est un peu au-dessus, tout ce qui exprime une relation de pouvoir, soit un mouvement du haut vers le bas, est instinctivement sapé pour que chaque chose trouve sa place au sein du plan dans une parfaite égalité.
jeudi 2 janvier 2020
Isn't Life Wonderful (1924) - Griffith
Grandeur de Griffith. Humilité, dignité. Attention aux choses concrètes : seule dans la cuisine, une femme s’écroule, malade de voir celui qu’elle aime souffrir dans la pièce d’à côté. Des coups de craie sur un tableau pour signaler la hausse des prix, et le visage de plus en plus désœuvré de la femme qui attend dans la file, et finit par s’en aller, abattue, car elle n’a pas assez d’argent… La joie débordante d’un couple à la découverte de leur toute petite maison de bois. Ils gigotent, sautillent, tournent autour. C’est une bicoque minuscule mais c’est leur lieu à eux (il y a leur nom, et quelques premières fleurs en guise de décoration). On voit aussi le couple labourer la terre, galérer à traîner son chariot rempli de patates à travers la forêt… Puis s’arrêter pour souffler et reprendre des forces auprès des feuilles bruissant dans les arbres (quel contre-champ merveilleux que ce mouvement des cimes qui illumine les deux visages fatigués…). Et puis ce personnage en marge du récit qui ne cesse de danser, bizarrement mais avec habileté, regardé par le film avec une infinie tendresse. Le soin accordé par Griffith à ses personnages est bouleversant… Comme lorsque l’amoureux revient de la guerre : toute la famille est dans le salon, puis un plan vient soudain isoler le visage de la femme. La pièce est alors placée hors-champ, le film choisit d’accompagner seulement l’émotion intense de l’amoureuse, qui prime sur le reste à cet instant et à elle seule comble l’espace du plan.
Beaucoup de parallèles, de contrastes, de jeux d’écho d’un plan à l’autre. Les choses concrètes si chères à Griffith s’opposent l’abstraction de la guerre (trop ordonnée, vue de très loin, signalée par un simple « War ») et de la crise financière (qui n’existe que dans le texte, via des cartons). Au tout début du film, suite aux plans de la guerre, la caméra se rapproche des gens, des survivants, des estropiés, et nous montre leur misère. C’est le début de la fiction, le premier souffle de vie du film, et le contraste est terrassant. Comme ce motif de la pomme de terre, qui vient s’opposer directement aux spéculations financières. Il y a là de la matière, qu’on tire de la terre, qu’on remue, qu’on donne… Lorsque le plat est déposé sur la table, plein à ras bord, fumant, une joie immense s’empare de tous les personnages. Ils s’empressent de partager le repas, ils se servent à volonté. Le père mange trop vite et avale de travers ; tout le monde pointe son doigt en l’air, lui lève donc la tête pour regarder, ce qui lui permet de digérer. La séquence dure longtemps, c’est un moment extraordinaire, et tout le monde, ensuite, se met à danser.
mercredi 1 janvier 2020
2020, jour 1
Mon année 2020 a commencé sous le soleil : de retour de Privas, où j'ai fêté le nouvel an chez un ami du lycée, j'ai parcouru en stop les routes d'Ardèche, émerveillé comme à chaque fois par les extraordinaires vues de la vallée de l'Eyrieux, ses couleurs, ses reliefs, ses vieilles maisons à flanc de collines, ses petits murs de pierre au bord de la route... Profondément touché, je crois, par la façon dont les humains qui sont venus habiter là sont parvenus à préserver la sauvagerie du lieu, en construisant ce qu'ils avaient à construire en fonction de la nature, en s'adaptant à l'harmonie du paysage. L'humain, ici, est à sa juste place : des teintes de gris, de jaune, de marron ; quelques formes parfaitement dans le ton du mouvement à l'oeuvre en ce lieu. La route qui va de Privas au Cheylard est peut-être la plus belle que j'ai parcouru de ma vie... Et je mesure depuis quelques années seulement le privilège que j'ai eu de naître et vivre dans ce département. (je m'imagine bien, aux alentours de mes 30 ans, emménager près des Ollières, dans une bicoque en pierre au bord de la rivière, et méditer, écrire et peindre mon amour de ce paysage qui m'aura accueilli...)
Pour 2020, je songeais depuis quelques semaines à m'éloigner un peu des différents réseaux que je fréquente sur internet. Prendre mes distances avec tous ces lieux de cinéphilie, qui m’écœurent de plus en plus, et sont de moins en moins raccord avec la place occupée par le cinéma dans ma vie. Ce sont des monastères culturels, idolâtres et isolés. Moi, j'ai besoin d'être dans le monde, et je regarde des films pour ça : pour le voir, l'entendre, sentir un peu de sa présence et de son souffle. Pour me faire à l'idée qu'il y a un espace à occuper, un Autre à regarder. Et toutes ces notes, ces listes, ces considérations de spécialistes... ont beau m'amuser, elles me confortent aussi, je crois, dans ce petit rôle encombrant de cinéphile que j'aimerais alléger. Quelques films et cinéastes dans ma besace, qui m'accompagnent au quotidien (Boetticher, Jerry Lewis, Straub-Huillet, Buffy contre les vampires...), mais pas de boulimie, pas de trop de cinéma, pas de lutte obsédante non plus contre une petite-bourgeoisie culturelle qui a de toute façon conquis depuis longtemps la cinéphilie, et y est aujourd'hui trop bien installée. Seulement un chemin de vie à tracer, une marche à continuer, avec mes compagnons de route, peut-être cinéastes, peintres, philosophes, écrivains... mais aussi amis, famille, et paysages que j'aime. Tous ceux pour qui j'éprouve la vive gratitude de m'avoir montré deux ou trois choses du monde que je travailler à habiter.
Une résolution simple m'est venue ce matin : patienter. Ralentir encore le rythme, me former à la tranquillité. Trouver une vitesse fluviale, qui je crois me siérait. Ecrire, peindre, ne pas prendre le temps mais le laisser passer, m'éroder. C'est vraiment ce mot-là, patience, qui est venu se glisser soudainement dans mon corps dès le réveil et y résonne depuis avec une grande évidence. Cet après-midi d'auto-stop sous le soleil ardéchois m'a procuré une immense joie, et il me semble que cette joie-là, si pleine, si lumineuse, avec l'image qui l'accompagne pour en garder une trace (l'inoubliable vallée de l'Eyrieux), sont le phare idéal pour guider mon année, que j'espère tranquille et mouvementée.
Pour 2020, je songeais depuis quelques semaines à m'éloigner un peu des différents réseaux que je fréquente sur internet. Prendre mes distances avec tous ces lieux de cinéphilie, qui m’écœurent de plus en plus, et sont de moins en moins raccord avec la place occupée par le cinéma dans ma vie. Ce sont des monastères culturels, idolâtres et isolés. Moi, j'ai besoin d'être dans le monde, et je regarde des films pour ça : pour le voir, l'entendre, sentir un peu de sa présence et de son souffle. Pour me faire à l'idée qu'il y a un espace à occuper, un Autre à regarder. Et toutes ces notes, ces listes, ces considérations de spécialistes... ont beau m'amuser, elles me confortent aussi, je crois, dans ce petit rôle encombrant de cinéphile que j'aimerais alléger. Quelques films et cinéastes dans ma besace, qui m'accompagnent au quotidien (Boetticher, Jerry Lewis, Straub-Huillet, Buffy contre les vampires...), mais pas de boulimie, pas de trop de cinéma, pas de lutte obsédante non plus contre une petite-bourgeoisie culturelle qui a de toute façon conquis depuis longtemps la cinéphilie, et y est aujourd'hui trop bien installée. Seulement un chemin de vie à tracer, une marche à continuer, avec mes compagnons de route, peut-être cinéastes, peintres, philosophes, écrivains... mais aussi amis, famille, et paysages que j'aime. Tous ceux pour qui j'éprouve la vive gratitude de m'avoir montré deux ou trois choses du monde que je travailler à habiter.
Une résolution simple m'est venue ce matin : patienter. Ralentir encore le rythme, me former à la tranquillité. Trouver une vitesse fluviale, qui je crois me siérait. Ecrire, peindre, ne pas prendre le temps mais le laisser passer, m'éroder. C'est vraiment ce mot-là, patience, qui est venu se glisser soudainement dans mon corps dès le réveil et y résonne depuis avec une grande évidence. Cet après-midi d'auto-stop sous le soleil ardéchois m'a procuré une immense joie, et il me semble que cette joie-là, si pleine, si lumineuse, avec l'image qui l'accompagne pour en garder une trace (l'inoubliable vallée de l'Eyrieux), sont le phare idéal pour guider mon année, que j'espère tranquille et mouvementée.
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