jeudi 16 janvier 2020

L'Adieu (2020) - Lulu Wang

Une famille d’immigrés chinois vivant à New York apprend que la grand-mère a un cancer en phase terminale. Elle décide de ne pas lui annoncer, parce qu’en Chine on considère que ce n’est pas le cancer qui tue mais la peur du cancer. Le faux mariage d’un cousin est donc organisé pour prétexter une venue de toute la famille en Chine, histoire de voir peut-être pour la dernière fois la grand-mère tout en gardant secrète sa maladie. 

Le film semble tenir beaucoup de la série télé contemporaine : un petit coté branché pas trop voyant, la conscience de n’être qu’un film de l’année parmi des centaines d’autres (et la modestie et l’inconséquence qui vont avec), un certain minimalisme appliqué : les acteurs et les dialogues avant tout (pas vraiment de sentiment de l’espace)… Mais quelque chose qui n’est presque jamais pris en charge dans les séries d’aujourd’hui est ici posé d’emblée comme le grand problème du film : le rapport du corps à la parole (y compris ses silences). L’autre jour je suis tombé par hasard sur un épisode de Anne with an E (2017-2019). Deux filles se disputaient dans une grange. La caméra, comme souvent, ne savait pas où se mettre ; les actrices non plus. Elles semblaient pétrifiées, crispées même, concentrées uniquement sur un texte à déverser avec virtuosité. L’une d’elle se met à pleurer, mais tout est faux. Il n’y a qu’un flux de parole ininterrompu, un texte maître qui court à perte. L’espace, les corps, n’existent pas. Tout est paralysé. Dans L’Adieu, cette paralysie-là devient le sujet. Il s’agit de se demander comment un corps retient dans le silence une émotion qui de toute part s’apprête à déborder. Lorsque la jeune héroïne du film (que ses parents interdisent de venir voir la grand-mère parce qu’elle est un « livre ouvert ») débarque de façon inattendue dans la maison en Chine, en plein repas familial, et qu’elle regarde sa grand-mère, on perçoit dans son corps tassé toute la charge de tristesse contenue qu’elle doit à tout prix ne pas dévoiler. Elle reste un moment sans bouger. Elle est d’abord avec elle-même dans le silence : avant de dire quoi que ce soit, il lui faut le temps de tout loger en soi dans un endroit secret d’où rien ne pourrait rejaillir. Comme un voleur cachant précipitamment son butin avant d’aller ouvrir aux policiers qui sonnent à sa porte. Puis, une fois que le chagrin et le déni ont pu s’incorporer, la parole se délie : elle salue sa grand-mère et lui exprime sa joie de la revoir. Tout en gardant pour elle, bien cachée, la conscience que cette petite joie-là est l’une des dernières.

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