Admiration cinéphile. Plaisir de voir un film aussi bien fait, ben pensé, avec une telle rigueur dans la simplicité. Pas de grandiloquence, juste un théâtre délicieusement démodé qui se joue en couleur et en scope dans des décors sachant rester à leur place, par des acteurs-figures-de-cire, représentant l’idéal d’un Hollywood déjà en pleine chute que l’on maintient artificiellement en vie dans quelques studios d’Italie. Il n’y a rien de l’obscénité du Cléopâtre (1963) de Mankiewicz, trop grandiose, trop évidemment hideux ; décadence ultime et solitude déchirante des acteurs. Dans Esther et le roi les acteurs sont avec le film, et le film avec ses personnages, dans un mélange de relâchement bizarre et d’extrême concision. La mise-en-scène n’opère que sur le strict nécessaire, le reste tient du dépôt : c’est là mais non pris en charge, ça vagabonde dans les interstices de ce récit si finement construit. Il n’y a rien à dire de l’histoire racontée, elle est quasi-parfaite (grandeur morale, totale transparence). Mais on pourrait parler, en revanche, de ce champ de ruine dans lequel se cache Simon exilé, terre d’une bataille entre la garde royale et les soldats du traître Haman, puis d’un combat viril entre Simon et le Roi pour le cœur d’Esther (que des enjeux moraux qui se recoupent d’enjeux sentimentaux, et le féminin et le masculin comme des mondes qui se démultiplient et entrent en collision). Derrière eux il y a la statue d’un guerrier de pierres à la tête coupée, une main tendue vers l’avant comme s’il brandissant une lance invisible. Rien ne la justifie, elle est simplement là, dans l’environnement. Vestige d’un temps de guerre glorifiée dont l’écho résonne encore sur le devant de la scène. Les échos comme celui-ci, circulation du mythe entre passé et présent, sont nombreux dans le film, et le creusent chaque fois depuis la surface de sa redoutable efficacité de cinéma jusqu’aux profondeurs d’une beauté indicible qui intériorise la fiction -celle du film, et celle d’une Histoire présente sans le dire, se rejouant sous nos yeux à condition que nous les gardions ouverts ne serait-ce que quelques instants. Ayons pour Walsh la gratitude de nous accorder cette confiance, lui chez qui reste intacte la croyance de Corneille et des Straub que les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer.
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