Vu le nouveau Woody Allen le jour de sa sortie (ça m’a pris comme ça). Salle assez peu remplie, étonnamment, mais récurrence quand même, WA oblige, des petits rictus forcés à chaque bon mot du Maître (décidément, même en petit nombre, le public de Woody Allen est le pire des publics). Il faudrait faire une étude sur le rire comme expression de classe : comment se fait-il que les petits bourgeois cultivés aient tant besoin de manifester, avec si peu de pudeur et au prix de leur honnêteté, leur approbation à l'humour de ce cinéma qui les représente ? Peut-être tout simplement parce qu'il faut rire à son humour, sinon c'est le déshonneur. Mais, quand même, la simulation est si évidente que c'en devient gênant, voire indécent : il n'y a pas de rire moins authentique que celui du public-type d'un film de Woody Allen (qui, pourtant, peut s'avérer authentiquement drôle de temps à autre).
Quelques mots échangés avec B., qui a vu le film aussi, et nous tombons d'accord : film de vieux con. Séparer l'homme de l'artiste, bien sûr, d'autant qu'une bonne partie des grands cinéastes sont, "dans la vie", des salauds. Mais en l’occurrence Woody est un sale type dans le film aussi. L'idée qu'il se fait d'une jeune étudiante en journalisme est pour le moins gênante : Elle Fanning est blonde, mignonne, inculte, un peu cruche, empotée, fantasmant complètement sur la première star venue au point de se transformer en vraie groupie... Bref, elle se fait balader à droite à gauche par ces artistes torturés du cinéma qu'elle rencontre (tous collectionnent les femmes), tandis que Timothée Chalamet, lui, se promène à son gré, certes affecté par l'absence de sa miss, mais tout de même plus maître de ses moyens qu'elle ne l'est. Il croise une vieille connaissance, le temps d'échanger quelques répliques autour des comédies romantiques et autres films d'amour (le temps surtout, pour WA, de se foutre méchamment de la gueule d'un gros beauf qui n'y comprendrait rien au cinéma), puis tombe sur Selena Gomez, amie du lycée qu'il avait perdu de vue depuis. Actrice touchante de franchise et de simplicité, qui accomplit l'exploit de résister à la touche pittoresque du jeu "à la Woody Allen", mais qui se trouve quand même un peu éteinte par un récit ne la considérant guère mieux que comme un faire-valoir. Elle n'est là que pour donner "corps" (ou plutôt donner texte) à l'incertitude grandissante de Chalamet, et il est d'ailleurs symptomatique de remarquer que le seul moment de (relative) solitude auquel elle a droit est entièrement voué à son attirance pour le jeune homme : dans son immense appartement (tous les appartements sont immenses dans le film), elle se change dans sa chambre tandis que Chamalet chante au piano dans le salon. La caméra s'avance lentement vers son visage et on voit s'y dessiner le signe d'un charme qui a opéré. Idée du processus de séduction vraiment cliché et rétrograde, voire un peu misogyne ( : face à un musicien, les filles mouillent en un clin d’œil). Même chose pour l'idée de mise-en-scène, qui va de paire.
Mais le pire du film, c'est sans doute sa fin. Le lendemain de cette journée mouvementée, Fanning et Chalamet ont enfin l'occasion d'assouvir leur désir de promenade en calèche à Central Park. Chalamet récite un poème, Fanning, d'un ton toujours aussi godiche, s'exclame "ah, je connais ça ! C'est du Shakespeare, n'est-ce pas ?". Ce n'était pas du Shakespeare. Chalamet tourne la tête et retient une moue moqueuse qui semble réclamer la complicité du spectateur. Un temps encore, puis il regarde à nouveau Fanning et lui annonce brusquement qu'ils ne vont pas ensemble et qu'ils feraient mieux de se quitter ici (elle rentrerait dans leur petite ville de Province et lui resterait à New York). Il lui donne de l'argent, descend de la calèche et dit au cocher de repartir. La pauvre Elle Fanning, que le film n'a cessé de malmener, se retrouve alors seule, sous la pluie qui arrive, et Woody Allen, ce vieux con, se soucie à peine d'elle, préférant suivre à nouveau Chamalet, son alter-ego du jour, et finir sur la note pseudo-romantique d'un cliché préparé (Gomez le rejoint sous la pluie au moment où l'horloge sonne midi). Chacun chez soi, donc, et le chez-soi de WA, c'est le New York bourgeois (celui des rires forcés, des jeunes filles serviles et des appartements luxueux). Eh bien moi, je n'en veux pas.
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