lundi 16 septembre 2019

Au fil d'Ariane

Vu Au fil d’Ariane (2014) de Guédiguian. C'est plutôt mineur, ça n'a ni la charge émotive de Marie-Jo et ses deux amours ni la violence politique de La ville est tranquille. C'est un petit film revendiqué comme tel, qui s'annonce dès le générique d'ouverture comme "une fantaisie de Robert Guédiguian". Je crois que Guédiguian est de toute façon un grand fantaisiste, mais la dimension socio-politique, si importante pour lui, prend souvent tellement de place qu'on en vient tous à croire (et même Guédiguian lui-même le croit), que c'est là son sujet. Du coup, Au fil d'Ariane se retrouverait sans sujet ; une fantaisie. Sauf que, surprise !, Guédiguian est cinéaste, ce qui veut dire que son sujet, à lui, on ne le trouve pas dans le scénario mais bien devant la caméra. Ses acteurs, Marseille, baignés de soleil. C’est ça, Guédiguian. Dans Au fil d’Ariane il n’y a plus que ça : le petit théâtre rêvé de Guédiguian. Théâtre oblige et rêve oblige, on se permet tout : un vieux marseillais se prend pour un américain, une tortue se met à parler, et Ariane Ascaride -merveilleuse comme toujours- assouvit son désir enfantin de chanter en public la chanson de sa mère. Il y a aussi cette séquence délicieusement irréaliste durant laquelle, pour tromper l’attente du redressement d’un pont suite au passage d’un bateau, des dizaines de passagers quittent leur voiture à l’arrêt et se mettent à danser (comme dans l’intro de La La Land, mais en bien mieux évidemment, plus impur, plus libre). 

On rêve toujours chez Guédiguian. On rêve d’un boulot, d’un piano, ou des neiges du Kilimandjaro. Des petits rêves très personnels, infiniment précieux, à l’origine d’un film, d’une scène, d’une rencontre. Des rêves qui toujours se retrouvent confrontés à la réalité, parfois durement, et appellent à être remodelés, ou adaptés. Mais jamais ils ne sont brisés, ou alors c’est la mort. C’est là le sujet de Guédiguian : la vie rêvée, la vie vécue, et le spectre de la mort qui attend qu’on ne rêve plus. Voilà pourquoi je le trouve minnellien. C’est aussi la raison de sa force politique : il a compris, sans doute grâce à Brecht et à Pasolini, que la puissance dévastatrice du capitalisme passe par le contrôle du rêve de chacun. Et s’y oppose fordiennement en nous montrant que, quoi qu’il arrive, le soleil brille pour tout le monde. 

La « fantaisie » d’Au fil d’Ariane, c’est d’accomplir le rêve. Pour une fois, assumer l’irréalisme, faire comme si. C’est un film qui me semble important pour comprendre Guédiguian car s’y déploie pleinement son petit monde idéal. Sans le spectre de la mort cette fois (on y déjoue d’ailleurs littéralement un suicide). Il permet d’imaginer ce que serait Guédiguian sans l’oppression capitaliste : déjà un cinéaste, et toujours un type bien.

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