Découvert en début d'après-midi La Colline de l'adieu (Love Is a Many-Splendored Thing), film réalisé en 1955 par Henry King. Je n'avais encore jamais vu le moindre film de Henry King (auteur invisible du système hollywoodien). J'ai trouvé ça terrassant de beauté... Quelques notes épars, qui n'ont pas trouvé de chemin pour s'organiser :
- paradoxale manière qu'ont eu les américains d'imposer leur domination sur le monde (ici le monde oriental, et la crise des migrants à Hong-Kong en 1949 comme toile de fond) tout en construisant des fictions remarquables, qui mettent constamment en jeu cette domination (peut-être pour mieux l'asseoir in fine ?).
- fondus enchaînés en permanence : scènes qui se fondent paisiblement les unes dans les autres (on ne pénètre ni ne quitte jamais un espace dans le film, tout se lie en un fil, et se poursuit après la fin).
- le soleil, la lune, l'eau, la colline. Tout ça fait bon ménage, et regarde dans la même direction (celle du cinéma ?).
- petites choses, petits reliefs : sur les visages creusés des femmes eurasiennes ; dans des dialogues apparemment innocents mais qui mettent en question de lourdes croyances et de profonds questionnements ; dans les décors fournis, et les gestes des acteurs qui semblent toujours tenir compte, sans n’en rien montrer, de cette richesse de l'environnement ; dans la très grande variété de couleurs, qui ne s'opposent jamais franchement mais cohabitent avec la plus parfaite des transparence…
- "I don't want to feel anything again ever" dit-elle, alors même que la musique s'intensifie, qu'ils s'apprêtent à aller nager main dans la main, et qu'on sent l'amour débarquer comme un torrent (grâce notamment à la musique -séduisante- d’Alfred Newman).
- incroyable moment où ils se mettent tous les deux à danser chez leurs amis, sur une musique intradiégétique qui est la même que la musique extradiégétique qu'on entendait juste avant, comme si leur solitude partagée se poursuivait, même en présence d'autres personnes. C’est que le sentiment qui les lie, d’abord abstrait, hors du monde, tient aussi dans le monde ; il est inébranlable. C’est peut-être lui qui est le personnage principal, plus encore que la femme ou l’homme (il est, en tout cas, le sujet du film, et sa matière vive).
- superbe moment aussi où chacun se couche de son côté à la fin de la journée, comme épuisé de bonheur (les moments superbes se succèdent dans ce film, on pourrait le citer dans son intégralité…).
- étonnant déploiement du Cinémascope en Technicolor pour montrer le plus souvent des discussions entre deux personnages seulement, dans des lieux confinés ou isolés (dans un restaurant, un ascenseur, sur une petite plage, en haut d’une colline…), comme si la largeur du cadre n’était là que pour permettre le plein déploiement des sentiments. Scènes de séduction en apparence éculées, mais pourtant chargées d’un poids presque mystique : il y a comme une pesanteur tranquille qui règne sur le film, et qui appelle en permanence le tragique (un peu comme dans Une autre vie de Mouret). Présence divine, mais qui ne se joue qu'entre les hommes (entre l'homme et la femme, en l’occurrence), se manifestant à travers le sentiment amoureux, qui prend alors une dimension mythologique.
- et cet amour semble complètement hors d'atteinte. Il y a plein de choses, de plus en plus graves, qui pourraient se mettre en travers (d'abord les différences de croyances, puis une certaine idée du devoir, puis le mariage, puis la différence ethnique, politique...) mais chaque possibilité de conflit se dissout paisiblement dans le rayonnement du sentiment vécu. Jusqu'à la guerre, puis la mort, qui elle-même échoue à mettre à bas cet amour bigger than life.
- j'ai rarement vu un film qui m'a donné une telle impression de se suffire à lui-même, dans lequel l'amplitude du cadre et la variété discrète des couleurs semblent accueillir avec bénédiction l'étendu de l'amour éprouvé.
- jamais le cinéma n’a paru aussi resplendissant, et aussi peu inquiété par le monde extérieur. 1955 : Hollywood est au sommet, avant l’effondrement.
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