Découvert hier soir Barravento (1962), le premier film de Glauber Rocha (et le premier que je vois également). Frappé par la force tellurique du film, cette impression que son énergie surgit de la matière-même des choses, dans ce qu’elles ont de plus organiques. Même les scènes présentant une fille qui entre en transe semblent réduites à leur dimension physique, vidées de tout mysticisme, laissant au corps seul (le visage, les jambes, les mains, la voix…) le plein pouvoir de ce qui se joue à ce moment-là. Rocha doit sans doute beaucoup au néo-réalisme italien (on pense évidemment à La Terre tremble, le plus beau film de Visconti, pour l’aspect documentaire sur les rituels et traditions locales d’un village de pécheur), et en particulier à Rossellini, mais il y a entre Barravento et un film néo-réaliste de Rossellini, mettons Stromboli, une différence fondamentale qui trouve sa source dans ce caractère charnel. Dans Stromboli, Ingrid Bergman est en proie à une lutte constante contre une force supérieure, qui pèse de plus en plus sur elle et dont elle ne parvient pas à se débarrasser jusqu’à l’éruption finale du volcan. C’est la métaphysique, voire le mystique, voire Dieu, qui agit sur le monde physique : c’est elle qui donne à Ingrid Bergman le nerf et le courage de gravir la montagne, mais c’est elle aussi qui provoque chez le personnage cette douleur de plus en plus oppressive. Pour le dire autrement, une tension naît du rapport que l’Homme entretient à la présence de Dieu. Pour Rossellini, il s’agit de confronter la puissance mystique à l’oppression religieuse, au sein-même d’une vision chrétienne du monde, et ce en observant leurs impacts sur la Terre et l’Homme. Ainsi pose-t-il la question de la conscience.
Avec Barravento, Rocha déplace la question de la conscience à la responsabilité. C’est comme s’il posait Rossellini comme fondement, tout en y ajoutant le commentaire suivant : si Ingrid Bergman parvient à gravir la montagne à la fin de Stromboli, ce n’est pas grâce à Dieu mais bien par la force de son corps. En d’autres termes, si une prise de conscience est nécessaire à l’Homme, c’est celle de l’absence de Dieu, et l’enjeu devient alors d’assumer ses responsabilité devant le monde qu’il habite et celui qu’il est en train de construire. La mer, le sable, les arbres… Tout ça existe et c’est vers ça que nous devons nous tourner. Vers l’Homme aussi, bien sûr. L’énergie jaillissante et spontanée de Barravento provient de la Terre, et ses cadres mouvementés et resserrés nous montrent que ce qu’il faut regarder ne se trouve pas dans le ciel, ou dans je-ne-sais-quelle métaphysique située hors-champ, mais bien à portée de nos yeux, sur la matière de la pellicule. C’est, en ce sens, un film plus brechtien que rossellinien.
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