J'avais, avant de voir des films de Capra, la crainte de la démagogie (parce que c'est une image qui lui colle à la peau, le côté mièvre et d'une naïveté exacerbée), mais en fait ça me semble complètement déjoué. Il y a vraiment quelque chose de très physique, de très "organique" pourrait-on dire. L'idée, qui pourrait tendre dangereusement vers l'idéologie, trouve toujours matière à s'incarner : il y a une présence des choses, des espaces, des personnages, qui rend les films absolument irréductibles à un quelconque "message" ou à une idéologie, c'est beaucoup trop vivant pour ça. Dans Vous ne l'emporterez pas avec vous, on pourrait décrire bêtement le personnage du père comme un patron véreux qui devient gentil par la force des sentiments, et trouver ça facile et mièvre, mais ce serait passer à côté de la transformation du personnage, qui s'incarne à l'écran et excède de loin le simplisme éventuel du scénario.
Et c'est intéressant parce qu'en même temps ça passe quand même constamment par le monde des idées, il me semble qu'il y a une tension permanente entre le métaphysique et le physique chez Capra (un peu comme dans les deux derniers Bresson -et tout Bresson, mais c'est particulièrement prégnant dans Le Diable Probablement et L’Argent, qui s'inscrivent dans l'espace politique qui leur est contemporain-, ou dans White Dog de Fuller, ou dans le récent Paul Sanchez est revenu ! de Patricia Mazuy), on voit l'effet des idées sur le monde, sur l'espace, sur les corps... La façon dont l'idée prend forme pourrait-on dire, et l'accord ou le désaccord de ces idées -pensées, dites- avec le geste ou avec l'émotion. Mr Smith (au Sénat) est beau parce que tout va d'un même mouvement, et le père dans Vous ne l'emporterez pas avec vous est beau parce qu'il est au cœur d'un déchirement entre quelque chose qui se passe et quelque chose qui bloque, et que l'espace du film permettra de transformer, de "débloquer", pour remettre le corps en mouvement et ré-accorder le geste à l'idée.
(je me dis d'ailleurs, en passant, que Capra aurait pu faire de supers séries télé, il aurait pu travailler à merveille le passage d'un temps long dans la vie des personnages)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire