La richesse et la densité des Bourreaux meurent aussi sont très impressionnantes. Il est bien connu que certains films hollywoodiens, et particulièrement ceux de Fritz Lang, témoignaient d'un art précieux de la concision, mais généralement lorsque la durée excède 1h40 il y a toujours de petits moments en-dessous, des séquences oubliables qu'on finit par oublier (comme chez Ford, le spécialiste de ce genre de scènes -qui parfois, frappées par le génie sincère de leur auteur, deviennent paradoxalement inoubliables-). Ici le film dure 2h15 et il n'y a pas un pet de gras, pas un plan qui porterait la marque d'un éventuel relâchement. Je pense qu'on féliciter Lang, mais aussi remercie Bertold Brecht pour son scénario en béton armé. Il est d'ailleurs amusant de remarquer ce qui relève du brechtien et ce qui relève du langien (et ce qui, du coup, trouve une place dans l'art de l'un comme de l'autre). Ce qu'il y a de langien c'est le film, tout simplement, du début à la fin. S'il fallait encore une preuve que tout est affaire de mise-en-scène, il suffit de regarder Les Bourreaux meurent aussi, écrit par un immense écrivain et mis en scène par un immense metteur en scène. De Brecht il ne reste que les idées (suffisamment fortes pour exister, déjà, à l'état d'idées -et pleinement vivantes dans le film grâce à l'intelligence de Lang qui prend soin de les filmer en les incorporant à sa propre pensée-), ainsi que quelques aspects disons de "folklore", comme l'humour grinçant, la séquence du cinéma (durant laquelle un spectateur se lève, son ombre recouvrant l'écran, puis se retourne et hurle face caméra d'arrêter la séance), ou tout le côté "soulèvement du peuple" que Lang montre bien mais auquel il ne semble pas s'intéresser plus que ça (cf la scène du chant commun des prisonniers, qui ne dure que quelques secondes alors qu'on la devine fondamentale pour Brecht). Citons aussi le magnifique personnage de Czaka, brechtien dans le scénario (c'est un bourgeois qui vit dans la peur et qui, par lâcheté et par crainte, se met à collaborer, avant d'être plus tard puni pour ses actes) ; purement langien à l'écran (notamment dans la seconde partie du film, lorsque tout l'accable et que la caméra se place de son côté, ou plutôt du côté du trouble entre son innocence et sa culpabilité, là où Brecht n'aurait pas quitté une seule seconde le camp du "petit peuple" alors en plein complot contre lui). Ce qu'il y a de sublime -sublimement langien- dans le film, ce sont tous ces petits intérêts individuels qui deviennent, par la force des choses et des événements, une question de vie ou de mort. Le socle même d'une dramaturgie (à savoir : une tension qui naît d'un affrontement entre une volonté et une autre volonté) est étudié de fond en comble par la mise-en-scène de Lang, puis multiplié et enfin poussé à son paroxysme lors de la scène dans la chambre du Dr Svoboda. Cinq personnages, tous avec leurs gestes et leur attitude propre, tous avec leurs petits secrets personnels (connus du spectateur), chacun défendant une cause différente pour des raisons différentes (et même pour des raisons valables, si l'on met de côté le nazi). Personne n'est complètement coupable ni complètement innocent. Ils sont tous en entier dans le cadre, sans se toucher, filmés comme des dieux. Tension extrême, absolue, sidérante. J'aurais voulu raconter cette scène, mais même en détaillant tout avec précision, mes mots n'auront jamais la force des plans de Fritz Lang. Cette tension-là, il faut la voir.
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