dimanche 29 avril 2018
samedi 28 avril 2018
America, America - Elia Kazan
Le précédent film d'Elia Kazan, Splendor in the Grass, puise sa force dans une sublime fragilité, un fil tendu qui menace de craquer à tout instant mais qui tient du début à la fin, mystérieusement (magnifiquement). Dans America, America, le fil craque. Il craque même plusieurs fois ; il ne cesse de craquer. Ce n'est pas un film fragile, c'est un film fracturé, déchiré de l'intérieur par la tension irréconciliable entre la grandeur du sujet et la sensibilité tranchante et solitaire de Kazan. Mais de cette fracture naît quand même une certaine beauté, moins pure et moins évidente que celle de Splendor in the Grass. Une beauté sèche, vive, primitive, qui surgit par instants seulement, au gré d'un plan, d'un geste, d'un regard (d'une musique, aussi), avant de repartir aussi sec, emportée par le craquèlement du film. Film fracturé mais qui tient quand même, sur une jambe, tombant puis se relevant. Le cinéma instinctif de Kazan a quelque chose de si violent qu'il en devient parfois destructeur, mais la destruction s'accompagne ici d'une profonde sincérité qui s'exprime d'un même geste. D'où la tentation du cri, de l'hystérie. D'où cet amour de Duras pour Kazan, sans doute. Deux cinéastes passionnels qui, parce que leur passion n'a pas de pays, tentent de l'inscrire dans le temps (ellipses folles de Splendor in the Grass).
mardi 24 avril 2018
Les Bourreaux meurent aussi - Fritz Lang
La richesse et la densité des Bourreaux meurent aussi sont très impressionnantes. Il est bien connu que certains films hollywoodiens, et particulièrement ceux de Fritz Lang, témoignaient d'un art précieux de la concision, mais généralement lorsque la durée excède 1h40 il y a toujours de petits moments en-dessous, des séquences oubliables qu'on finit par oublier (comme chez Ford, le spécialiste de ce genre de scènes -qui parfois, frappées par le génie sincère de leur auteur, deviennent paradoxalement inoubliables-). Ici le film dure 2h15 et il n'y a pas un pet de gras, pas un plan qui porterait la marque d'un éventuel relâchement. Je pense qu'on féliciter Lang, mais aussi remercie Bertold Brecht pour son scénario en béton armé. Il est d'ailleurs amusant de remarquer ce qui relève du brechtien et ce qui relève du langien (et ce qui, du coup, trouve une place dans l'art de l'un comme de l'autre). Ce qu'il y a de langien c'est le film, tout simplement, du début à la fin. S'il fallait encore une preuve que tout est affaire de mise-en-scène, il suffit de regarder Les Bourreaux meurent aussi, écrit par un immense écrivain et mis en scène par un immense metteur en scène. De Brecht il ne reste que les idées (suffisamment fortes pour exister, déjà, à l'état d'idées -et pleinement vivantes dans le film grâce à l'intelligence de Lang qui prend soin de les filmer en les incorporant à sa propre pensée-), ainsi que quelques aspects disons de "folklore", comme l'humour grinçant, la séquence du cinéma (durant laquelle un spectateur se lève, son ombre recouvrant l'écran, puis se retourne et hurle face caméra d'arrêter la séance), ou tout le côté "soulèvement du peuple" que Lang montre bien mais auquel il ne semble pas s'intéresser plus que ça (cf la scène du chant commun des prisonniers, qui ne dure que quelques secondes alors qu'on la devine fondamentale pour Brecht). Citons aussi le magnifique personnage de Czaka, brechtien dans le scénario (c'est un bourgeois qui vit dans la peur et qui, par lâcheté et par crainte, se met à collaborer, avant d'être plus tard puni pour ses actes) ; purement langien à l'écran (notamment dans la seconde partie du film, lorsque tout l'accable et que la caméra se place de son côté, ou plutôt du côté du trouble entre son innocence et sa culpabilité, là où Brecht n'aurait pas quitté une seule seconde le camp du "petit peuple" alors en plein complot contre lui). Ce qu'il y a de sublime -sublimement langien- dans le film, ce sont tous ces petits intérêts individuels qui deviennent, par la force des choses et des événements, une question de vie ou de mort. Le socle même d'une dramaturgie (à savoir : une tension qui naît d'un affrontement entre une volonté et une autre volonté) est étudié de fond en comble par la mise-en-scène de Lang, puis multiplié et enfin poussé à son paroxysme lors de la scène dans la chambre du Dr Svoboda. Cinq personnages, tous avec leurs gestes et leur attitude propre, tous avec leurs petits secrets personnels (connus du spectateur), chacun défendant une cause différente pour des raisons différentes (et même pour des raisons valables, si l'on met de côté le nazi). Personne n'est complètement coupable ni complètement innocent. Ils sont tous en entier dans le cadre, sans se toucher, filmés comme des dieux. Tension extrême, absolue, sidérante. J'aurais voulu raconter cette scène, mais même en détaillant tout avec précision, mes mots n'auront jamais la force des plans de Fritz Lang. Cette tension-là, il faut la voir.
jeudi 19 avril 2018
Capitaine sans peur - Raoul Walsh
Capitaine sans peur, ou comment l'irruption d'une femme dans un environnement masculin transforme un film d'aventure maritime pour le moins ronflant en une superbe histoire d'amour impossible. Oublions donc les cinquante premières minutes et les multiples coups de canon de ce gros lourd d'El Supremo et (re)gardons le reste : quelques échanges de regards déchirants de passion, la tendresse doucement dévoilée d'un capitaine viril, un baiser caché dont on a la chance de partager le secret, et un personnage qui apprend à faire coexister son devoir de marin avec ses sentiments (autrement dit, qui prend conscience de la nécessité d'une rencontre entre le corps et l'esprit). Walsh, maître dans l'art d'ancrer la présence d'un corps dans un espace, brille ici par la justesse avec laquelle il filme l'absence : sidérante déambulation d'un fantôme à la lecture d'une lettre ; troublant Gregory Peck qui, après avoir perdu sa (ou plutôt ses) femme(s), est là sans être là, l'esprit ailleurs (à l'endroit de son cœur), isolé au beau milieu de décors artificiels que le cinéaste prend un malin plaisir à faire sauter les uns après les autres. C'est comme si Walsh, à travers l'évolution de son personnage dans la seconde partie, parlait de son propre film. D'abord perdu et un peu terne, puis retrouvé grâce au surgissement d'un contraste fort (pour le film c'est l'arrivée de la fille ; pour le personnage l'attaque de son bateau et la mort d'un proche) qui créé une dialectique nouvelle et revivifiante (homme/femme, mort/vie, corps/esprit, présence/absence). Bancal et imparfait, donc, mais intéressant et parfois même très beau.
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