Film tout à fait de son temps, où le cinéma devient un sujet en soi. La comédie romantique n’a plus la fraîcheur innocente d’antan : elle sait ce qu’elle est, connaît par cœur tous ses pouvoirs de séduction. Un gag, au tout début du film, annonce la couleur : Ingrid Bergman mange tranquillement une vache qui rit en sirotant un verre de lait (!) dans la cuisine, quand soudain une main gantée se pose sur la poignée de la porte, accompagnée par la musique d’un film d’angoisse. Tout spectateur, face à de tels motifs de mise-en-scène, s’attend à voir entrer un agresseur. Puis un homme débarque en se cassant la figure : c’est son beau-frère, qui essayait seulement de se raccrocher à quelque chose pour ne pas tomber. Peur de l’agression désamorcée, cinéma s’amusant de l’hyper-conscience de ses effets.
L’histoire est celle de duperie et de coups de théâtre. Ingrid Bergman est comédienne, célibataire heureuse de l’être (à plus de 40 ans), jusqu’à ce qu’elle croise la route de Cary Grant, ambassadeur à l’OTAN, homme marié selon ses propres dires. Leur rencontre est d’une grande douceur, bien loin des tourments du couple qu’ils ont formé chez Hitchcock (dans Soupçons puis Les Enchaînés). Ils s’aiment très vite mais d’un amour d’abord platonique -ou respectable. Ils ne s’embrassent pas, conservent une distance. Ils se contentent de passer du temps ensemble, de vivre l’être ensemble. Bergman et Grant sont étonnants, détachés, non pas d’un détachement bourgeois mais de celui de stars mures, la bosse déjà roulée et la conscience que leur image de marque n’est plus en jeu. Ils font les choses lentement, sereinement ; leur assurance tranquille ajuste le rythme d’un film qui se voudrait peut-être un peu trop vif et coloré. Il y a, entre eux, une profonde complicité, hermétique au dehors, somnolente. Ils sont beaux, tous les deux, à se regarder sans ne rien dire dans l’ascenseur, ou à se téléphoner depuis leur lit, tard dans la nuit. Et c’est au petit matin, au téléphone encore, qu’ils se confirment leur amour.
Et là paf ! premier coup de théâtre : on apprend que lui ne s’est jamais marié. Il refuse de le faire par peur de perdre sa liberté, et ment ainsi à toutes ses conquêtes en leur faisant croire qu’il a une femme en Amérique. Mais cette fois-ci le voilà bien embarrassé, car il est fou amoureux d’Ingrid Bergman qui, elle, aimerait se marier. La scène suivante, elle apprend son mensonge (sans que lui ne le sache), et alors toute la seconde moitié du film sera consacrée à un coup monté par elle pour se venger -avec mise en scène, comédiens et répétitions !-, jusqu’au nouveau coup de théâtre final, qui fait foirer la farce savamment préparée : il la demande en mariage au moment même où elle avait prévu de le rendre fou de jalousie. Happy-ending bien sûr, mais détourné.
Tout cela est très bourgeois, un poil surligné par un trop-plein d’intelligence (1958, le début de la fin), mais reste très agréable et parfois émouvant. Grâce aux acteurs, surtout, qui sont si beaux et jouent si bien.
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