vendredi 13 septembre 2019

Drug War

Désir qui revient souvent d’entreprendre un dictionnaire du cinéma, sur le modèle de celui de Lourcelles, avec des petites notices pour chaque film. Idée stupide évidemment. Pour commencer, je choisis arbitrairement Drug War (2011) de Johnnie To, découvert récemment : 

Un film d’une extrême rigueur, sans fards ni sentimentalisme, où l’on suit pendant trois jours (condensés en 1h45) la mission d’une brigade de stupéfiants, dirigée par le capitaine Zhang (Sun Honglei) et aidée par Timmy Choi (Louis Koo), un cook démasqué qui évite ainsi la peine de mort. La mise-en-scène est patiente et méticuleuse ; on voit l'effort, la fatigue accumulée mais contenue, discrète, qui se transforme en persévérance. Il y a une forme d’épure extraordinaire qui peut surprendre lorsqu’on ne connaît le cinéma de Johnnie To qu’à travers Exilé (2006), son film le plus célèbre, un polar melvillo-leonien bardé d’effets, où la désinvolture revendiquée se trouve étouffée par une stylisation outrancière. Avec Drug War, il ne garde de Melville que l’admiration pour le travail bien fait, et semble étendre la séquence du casse du Cercle rouge (1970) à un film entier, en retirant soigneusement tout ce qu’il pouvait y avoir de boursouflé dans son minimalisme poseur pour ne conserver que l’essence de la scène, à savoir les gestes et la durée du labeur. Film essentiel, donc, qui ne se concentre que sur le travail et rien d'autre, avec une rare application. Si bien que l’on pense moins à Melville qu’à Objective Burma (1945) de Walsh, et, un peu plus lointainement, à L'Homme sans nom (2010) de Wang Bing, ou The Act of Seeing with One's Own Eyes (1971) de Brakhage. Ce sont peut-être les quatre seuls films entièrement portés sur la question du début à la fin, sans détour. Ce qui peut paraître paradoxal, c’est que, comme dans le film de Walsh, l’intransigeance et la condensation du récit laisse quand même respirer de beaux personnages. La corde est tendue mais il y a du jeu. Réduits au squelette de leur fonction et de quelques dilemmes moraux rapidement esquissés, ils existent d’abord grâce à une présence physique soigneusement considérée par la caméra. Un peu de lumière, la distance nécessaire, puis un regard, une attitude, une façon de se tenir ou de se mouvoir face à une situation, et déjà un corps prends vie à l’écran. « Action, action, action » préconisait Walsh. Trois mots seulement -trois fois le même-, le reste n’est qu’espace qui s’ouvre et air qui passe. Drug War est sec au point de tarir la source de toute idéologie (même dans le point limite qu’aurait pu représenter le mouvement final, la cohérence éthique du film ne se rompt pas) : il n’est point de message, juste un précieux document qu’il faut se contenter de regarder.

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