Je viens d’assister à un spectacle de danse sublime. Il y avait quatre danseurs : deux hommes (l'un d'1m70 environ, assez fin, d'un physique gracieux ; l'autre 1m85, cheveux frisés, un corps plus lourd et affaissé, anormal pour un danseur) et deux femmes (une belle italienne vêtue de noire, une autre plus mince et élancée, avec un t-shirt rayé). Une musique légère, atmosphérique, avec un son très bas, qui semblait simplement accompagner le mouvement des danseurs (et qui disparaît sur la fin). Les gestes étaient toujours très simples, pas le moindre signe de virtuosité, jamais de performance physique : juste de l’humilité, de l'intégrité, et du travail.
Le spectacle fonctionne comme une espèce de grande circulation, ça ne raconte rien narrativement (il n'y a pas une parole, seulement le bruit tranquille des pas sur le sol et la musique de fond), et il n'y a pas non plus d'étapes ou de scènes à proprement parlé, mais une progression lente et confiante, comme une étoffe qui se tisse sous nos yeux. Le travail se fait devant nous, sur la scène, et nous invite par sa générosité à le poursuive par la suite, avec nos outils et capacités propres.
Ce sont des corps qui se meuvent, qui explorent l'espace, qui semblent se libérer progressivement, ou du moins apprendre à se libérer, à éprouver leur présence dans le monde -à être au monde- à la fois collectivement et individuellement. On voit toujours un geste commun, un fonctionnement d'ensemble, et en même temps chacun effectue le geste à sa façon, avec sa singularité (le plus grand des hommes s’appesantit, tâtonne ; l’autre est plus technique et virevoltant ; l’italienne joue de regards et de mimes ; la dernière semble suivre son instinct avec une extrême concentration). Les danseurs ne se touchent presque pas, ils se regardent parfois.
Il y a une multitude d’actions, de situations, qui amènent différentes postures et attitudes, et demandent de s'adapter perpétuellement, en fonction de soi et des autres, pour faire vivre le groupe tout en ne mettant jamais en péril sa propre intégrité. Parfois les corps se heurtent, parfois c'est imprécis, ça ne fonctionne pas, il faut du temps... Et le temps est pris. Et chacun s'adapte, apprend à jouer un rôle chaque fois différent. C’est une épopée, presque un grand récit d'aventure (l’histoire d'une exploration physique du monde), mais il y a aussi comme une transformation constante, une conscience que le monde bouge en permanence et qu'il faut apprendre à faire avec ce mouvement, apprendre à accorder son geste à celui du groupe et de l'espace (j'ai pensé aux Métamorphoses d'Ovide).
A la fin les corps ont progressé, ils ont trouvé une forme de liberté, et les mouvements, tout en restant toujours très simples, deviennent plus fluides, plus faciles… La musique s'arrête et il n'y a plus que ces corps qui bougent, chacun à leur rythme. Puis un par un ils arrêtent de danser et regagnent le fond de la scène ; le spectacle se termine dans un apaisement véritable.
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