mardi 6 mars 2018

Lili Marleen - Rainer Werner Fassbinder


Plus que jamais, Fassbinder filme dans l'urgence. Peut-être filme-t-il même l'urgence. Lili Marleen avance d'un pas si rapide et si brusque qu'il se rapproche dangereusement de ce qu'on pourrait nommer un "film précipité", c'est-à-dire un film dans lequel chaque nouveau plan semble ne pas avoir attendu que le précédent se termine pour apparaître à l'écran (Parking, de Jacques Demy, est un parfait exemple de film précipité). Si Fassbinder est mort si jeune (37 ans), c'est sous doute précisément parce qu'il a toujours subi l'urgence, tout en s'épuisant pour éviter de tomber dans la précipitation. Ce film-là est si brutal et suffoquant qu'il requiert une pause, le temps de reprendre son souffle. Pause que ne s'est jamais accordé Fassbinder, qui considérait devoir filmer, coûte que coûte, se bâtissant ainsi une oeuvre forcément fragile et irrégulière mais d'une ampleur et d'une cohérence incontestables.

Que tirer alors de l'urgence de Lili Marleen ? Que c'est un beau film, déjà, parmi les plus beaux de son auteur. Parmi les plus brechtiens aussi, et sans doute cela a-t-il à voir avec l'urgence, justement : il en sort une forme de ténacité, de désir furieux d'avancer, de régler une fois pour toutes ses comptes (et ceux de l'Allemagne, par la même occasion) avec le nazisme, avec la Guerre, avec l'histoire... En témoignent ces séquences virulentes durant lesquelles on passe de plans de la chanteuses Willie (interprétée par la fantastique Hanna Schygulla, plus Dietrich que jamais) à des images du front, par les moyens d'un montage alterné particulièrement brutal. Seule la fameuse chanson du titre survit à ce découpage impitoyable, comme pour rappeler (et c'est peut-être la leçon -toute brechtienne- du film) que chaque geste (ici artistique) a un impact politique. « Mais ce n'est qu'une chanson ! » s'écrit innocemment Willie, surprise que sa musique suscite une telle agitation. Le film répond dans la foulée et sans détour : une chanson, peut-être, mais c'est déjà beaucoup. 

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