samedi 26 octobre 2019

La perle du Pacifique Sud

- mystère de ce cinéma de Dwan qui semble tenir tout seul, qui enchante toujours sur le moment mais reste assez peu en mémoire. Cinéma mineur jusqu'au bout. Mineur aussi dans le sens de "pas encore adulte", pas encore de droits dans la société, entièrement dépendant du tuteur Hollywood. Alors on invente une fable où l'on rejoue le monde des adultes, avec sa cupidité, sa violence, qui pénètrent dans le lieu de l'enfance, à l'innocence préservée. Dans La perle du Pacifique Sud la préservation est assurée par un tuteur, encore, hyper-conscient mais bienveillant. Dwan lui-même, faisant son cinéma ? En tout cas ce monde merveilleux a quelque chose de confortable et presque idéal. Il y a un bonheur, un vrai bonheur de spectateur, qui ne repose ni sur le suspense ni sur la séduction ni sur une quelconque satisfaction ; c'est une sobre plénitude de cinéma (à ce propos, lire ce joli texte : https://theballoonatic.blogspot.com/2009/12/les-rubis-du-prince-birman.html ). Les hommes occidentaux, les (faux) religieux, et bien sûr l'argent tentent tous de l'attaquer mais rien n'y fait, le bonheur persiste. Seulement il ne persiste que le temps du film, et disparaît bien vite. Il faudrait peut-être, pour être réellement accompagné par les films de Dwan, vivre soi-même un peu dans sous la tutelle du cinéma. Être soi-même mineur, enfant rêveur. Comment y parvenir ? Difficile à dire... Dwan ne donne aucune clé, son secret est bien gardé, il ne nous dévoile que la fable qui nous fait rêver.

- quoi de réel, quand même, dans ce rêve-là de cinéma ? Autrement dit, qu'est-ce qui tient ? Toujours la même chose : le décor et les acteurs. Je me souviens avoir noté dans un coin à la suite de ma découverte de La reine de la prairie : "petit théâtre de la nature". Ça me semble définir son cinéma. Dans La perle du Pacifique Sud un bateau, une chambre, une cour, une cabane, et surtout un point d'eau. Puis quelques hommes, au moins quatre importants, ainsi qu'une troupe d'intervenants, et évidemment Virginia Mayo, immense et merveilleuse actrice. On pourrait raconter le film comme l'histoire d'une femme qui se prend d'affection pour son rôle, à tel point qu'elle finit par refuser l'argent qu'elle aurait pu gagner grâce à lui et choisit de s'installer définitivement dans le théâtre qui l'a révélée. Pour elle et pour l'eau, le film vaut déjà le coup, parce que Dwan sait les filmer, avec une affection pudique, très modestement exprimée (mais tout de même, si on plonge si souvent, ce n'est pas pour rien !). Ce qui tient aussi, c'est une certaine idée de la morale. Une vraie morale de l'innocence et de l'enfance, avant sa perversion par la publicité qui en a fait naïveté et infantilisme (Spielberg). Soit : les "valeurs humaines" (en gros : bienveillance, gentillesse, modestie, amitié), si l'on prend soin de les préserver, seront toujours plus fortes que les diverses oppressions qui tentent de s'y opposer. Elles sont primitives, voire naturelles, et anéantissent ou dissolvent par la seule affirmation de leur existence les rapports de force du corps social (comme chez Ozu).

- La discrétion, la "petitesse", et l'infinie politesse de se retirer très vite de la mémoire du spectateur, viennent peut-être de là : une hantise des jeux de pouvoirs et de dominations qui va jusqu'au refus de toute emprise possible sur le spectateur. Aussi : une prudence pour les personnages, que l'on préserve du monde. Virginia Mayo reste sur son île, et dans le film. Si l'on veut la revoir, la seule solution est d'y revenir, car Dwan a distillé dans sa recette secrète un élixir de l'oubli, afin de disparaître corps et âme aux yeux de ceux qui s'en vont loin du cinéma.

mardi 22 octobre 2019

Escape to Burma

- entretient un rapport étrange avec les conventions. Elles ne bénéficient pas de cette acceptation sereine qui caractérise les meilleurs films de Dwan (sauf peut-être si l’on s’en tient au découpage : les champ/contre-champs simplissimes sont légion, toujours beaux comme si le geste technique venait d'être inventé). Pour le reste c'est soit trop conventionnel au point que c'en devient ringard et vulgaire (le premier échange de regards très appuyé, Barbara Stanwyck qui tombe faiblement dans les bras virils de Robert Ryan...), soit ça ne l'est plus du tout et le film explore des choses tout à fait étranges et insolites. Avec les animaux, notamment : un éléphant improvise une danse, un singe vient s’endormir aux côtés de Stanwyck... Ce qui est surprenant, c'est que les plus belles scènes du film sont ces bizarreries-là, soient les moments les moins "dwaniens", chez un cinéaste dont la beauté provient presque toujours de l'amitié sincère (pour les acteurs et les décors) qu'il exprime par son geste très modeste de mise-en-scène. Ce qu'on pourrait appeler un ardent désir de cinéma. Mais ici ce sont les à-côtés, tout ce qui sort du petit théâtre mis en boîte (ce qu'on nomme cinéma, dans sa définition la plus simple), mais qui a été inclus quand même, par pur plaisir. Les moments Hawks, en somme (sept ans avant Hatari ! qui ne sera fait que de ces moments-là). 

- très poussif au début, d'un néo-colonialisme gênant, et très misogyne aussi. Puis ça bouge un peu quand arrive le personnage du flic. Là il se passe des choses, tout est plus impliqué. On sent Dwan beaucoup plus à l'aise quand il y a deux hommes à filmer : l'amitié ça le connaît, d'autant qu'ils sont loin d'être amis, ces deux-là, au départ... ce qui fait un défi de cinéma à relever : il faut qu’on voit la relation évoluer. Et le personnage de Barbara Stanwyck trouve sa place à partir de là aussi, sa voix grave et affirmée (plus que les mots qu'elle prononce, déjà oubliés) occupe l'espace et tient à distance les deux corps masculins (lorsqu'elle se tait, ils se bagarrent). A trois, l’équilibre est plus stable qu’à deux, tout circule mieux (Dwan, cinéaste du poli-amour ?). 

- d’ailleurs, l'espace existe surtout grâce au son dans ce film. Tourné intégralement en studio, le décor a quelque chose de très artificiel, mais la vérité du lieu tient aux respirations de la nature savamment -et très simplement- restituées. On est loin du paysage resplendissant de La reine de la prairie ou Au bord de la rivière, et loin aussi de l'habileté architecturale de Quatre étranges cavaliers ou L'aigle des frontières, mais une certaine atmosphère locale existe quand même, par le travail sonore.

- très belle idée de confier le dénouement du récit à un personnage dont on a annoncé la mort au début du film : cela lui donne, malgré son absence, une "trajectoire morale", tout en permettant de rééquilibrer les forces en présence. On finit par célébrer l'héroïsme de Robert Ryan (comme par compensation après les coups infligés), mais surtout on parvient à réconcilier tout le monde sans ne causer de tort à personne, ce qui n’était pas gagné, et en offrant même une mort tragique et digne à un personnage que l'on croyait sèchement assassiné.


mercredi 9 octobre 2019

Chambre 212

Le nouveau Honoré est un film riquiqui. Charmeur mais à peine charmant. Honoré s'essaie à un vaudeville cinéphilisé, une sorte de Guitry pop, avec flocons de neige, draps bleu clair et piano romantique pour décorer une rue et maquiller les faux émois de trois personnages et demi qui, hélas, existent à peine. Les acteurs sont très biens : Camille Cottin peut-être un peu en-dessous, mais Chiara Mastroianni toujours d'une assurance mûre extraordinairement séduisante, jurant bien sûr avec la nonchalance respective de Biolay et de Lacoste, beaux acteurs eux aussi, à leur façon, dont la complicité aperçue au détour d'une scène ou deux offre peut-être les moments les plus vivants du film. Tout le reste, ou presque, ne sort jamais du texte, entendu pas simplement comme lignes de dialogue mais plus globalement comme idée pré-écrite du film, si appliquée à l'écran qu'elle fait écran à toute vie possible. Plaire, aimer et courir vite était consternant dans ses moments les plus dramatiques, mais offrait parfois à Vincent Lacoste un certain espace pour respirer et faire respirer le film avec lui (seul un grand acteur a le souffle pour ça). Ici même lui est soumis à l'autorité d'un scénario trop bien ficelé pour autoriser le moindre écart d'un acteur, le moindre appel d'air d'un personnage. Il n'existe que le petit monde fermé de Christophe Honoré, qui n'intègre aucun corps, aucun vent extérieur, et qui en plus, tristesse, n'a même pas la clairvoyance du jeu des sentiments. On perçoit une influence vecchialienne (et on voit la référence à H. James, explicitement cité) mais il y a, chez Vecchiali comme chez James, une subtilité, une délicatesse et surtout un mystère qui mettent en mouvement le système planifié. Dans Encore (Once More), que Honoré adore, le dispositif virtuose (des plan-séquences en continu) et les dialogues méticuleux se plient et se déplient au contact des acteurs, seuls regardés, et aimés, par la caméra. Les désirs et les sentiments circulent d'un corps à l'autre, la mise-en-scène fait danser le scénario. Et le monde que l'on voit n'est plus petit et seul : ce sont des mondes qui se déploient, spacieux, pleins de vie, échappant de toute part à Vecchiali, qui s'applique seulement à en assurer l'harmonie. Le monde de Chambre 212 est minuscule parce qu'il n'accueille jamais autre chose que de tous petits mots, et un insignifiant désir de cinéma. C'est un film qui ne vit pas.

« La chaleur des meules devint si forte qu’on ne pouvait plus s’en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des cré...