- mystère de ce cinéma de Dwan qui semble tenir tout seul, qui enchante toujours sur le moment mais reste assez peu en mémoire. Cinéma mineur jusqu'au bout. Mineur aussi dans le sens de "pas encore adulte", pas encore de droits dans la société, entièrement dépendant du tuteur Hollywood. Alors on invente une fable où l'on rejoue le monde des adultes, avec sa cupidité, sa violence, qui pénètrent dans le lieu de l'enfance, à l'innocence préservée. Dans La perle du Pacifique Sud la préservation est assurée par un tuteur, encore, hyper-conscient mais bienveillant. Dwan lui-même, faisant son cinéma ? En tout cas ce monde merveilleux a quelque chose de confortable et presque idéal. Il y a un bonheur, un vrai bonheur de spectateur, qui ne repose ni sur le suspense ni sur la séduction ni sur une quelconque satisfaction ; c'est une sobre plénitude de cinéma (à ce propos, lire ce joli texte : https://theballoonatic.blogspot.com/2009/12/les-rubis-du-prince-birman.html ). Les hommes occidentaux, les (faux) religieux, et bien sûr l'argent tentent tous de l'attaquer mais rien n'y fait, le bonheur persiste. Seulement il ne persiste que le temps du film, et disparaît bien vite. Il faudrait peut-être, pour être réellement accompagné par les films de Dwan, vivre soi-même un peu dans sous la tutelle du cinéma. Être soi-même mineur, enfant rêveur. Comment y parvenir ? Difficile à dire... Dwan ne donne aucune clé, son secret est bien gardé, il ne nous dévoile que la fable qui nous fait rêver.
- quoi de réel, quand même, dans ce rêve-là de cinéma ? Autrement dit, qu'est-ce qui tient ? Toujours la même chose : le décor et les acteurs. Je me souviens avoir noté dans un coin à la suite de ma découverte de La reine de la prairie : "petit théâtre de la nature". Ça me semble définir son cinéma. Dans La perle du Pacifique Sud un bateau, une chambre, une cour, une cabane, et surtout un point d'eau. Puis quelques hommes, au moins quatre importants, ainsi qu'une troupe d'intervenants, et évidemment Virginia Mayo, immense et merveilleuse actrice. On pourrait raconter le film comme l'histoire d'une femme qui se prend d'affection pour son rôle, à tel point qu'elle finit par refuser l'argent qu'elle aurait pu gagner grâce à lui et choisit de s'installer définitivement dans le théâtre qui l'a révélée. Pour elle et pour l'eau, le film vaut déjà le coup, parce que Dwan sait les filmer, avec une affection pudique, très modestement exprimée (mais tout de même, si on plonge si souvent, ce n'est pas pour rien !). Ce qui tient aussi, c'est une certaine idée de la morale. Une vraie morale de l'innocence et de l'enfance, avant sa perversion par la publicité qui en a fait naïveté et infantilisme (Spielberg). Soit : les "valeurs humaines" (en gros : bienveillance, gentillesse, modestie, amitié), si l'on prend soin de les préserver, seront toujours plus fortes que les diverses oppressions qui tentent de s'y opposer. Elles sont primitives, voire naturelles, et anéantissent ou dissolvent par la seule affirmation de leur existence les rapports de force du corps social (comme chez Ozu).
- La discrétion, la "petitesse", et l'infinie politesse de se retirer très vite de la mémoire du spectateur, viennent peut-être de là : une hantise des jeux de pouvoirs et de dominations qui va jusqu'au refus de toute emprise possible sur le spectateur. Aussi : une prudence pour les personnages, que l'on préserve du monde. Virginia Mayo reste sur son île, et dans le film. Si l'on veut la revoir, la seule solution est d'y revenir, car Dwan a distillé dans sa recette secrète un élixir de l'oubli, afin de disparaître corps et âme aux yeux de ceux qui s'en vont loin du cinéma.