vendredi 19 janvier 2018

Manpower - Raoul Walsh


Johnny Marshall (George Raft) et Hank "Gimpy" McHenry (Edward G. Robinson) sont deux amis réparateurs de lignes électriques à haute tension qui jouent chaque jour avec le feu face aux dangers de leur métier. Un soir, ils font la connaissance de Fay, une chanteuse de cabaret, qui va semer le trouble dans leur amitié. 

Voilà un film sidérant. On pourrait le rapprocher de Seuls les anges ont des ailes, sorti deux ans plus tôt (omniprésence de la mort, rapports tendus entre hommes et femmes, film de bande qui croise le mélodrame), mais le film de Hawks est moins sec et brutal que celui de Walsh. Dans Manpower, les ruptures de ton sont constante malgré un rythme effréné qui laisse l'impression d'un récit direct et implacable (c'est un pur film d'action). Ce que dit Manny Farber dans son article sur Walsh, à propos de l'idée de redoubler le pathos et l'humour, me semble très vrai. C'est ce qui permet au film de rester juste malgré les ruptures à répétition : on ne passe jamais vraiment du rire aux larmes puisque les deux sont toujours plus ou moins là. Comme une balance qui penche d'un côté ou de l'autre selon les nécessités de la scène. La brutalité du film proviendrait alors plutôt de cette tension extrême entre les hommes et les femmes. Là encore il s'agit d'une balance, d'un équilibre à trouver, mais l'atmosphère est si tempétueuse, si électrique, que la violence semble inévitable (à noter qu'il suffit d'une femme pour mettre en péril l'équilibre d'un milieu exclusivement masculin ; qui d'autre que l'extraordinaire Marlene Dietrich* pour jouer ça ?).

*Je suis plutôt d'accord avec le reproche qui peut être fait à Dietrich, celui qui consiste à dire qu'elle est trop consciente de son charme et de son jeu, mais je vois toujours chez elle (en particulier chez Sternberg, mais dans Manpower aussi) une profonde solitude. Comme si ses charmes, ce jeu de séduction permanent, cette figure de femme fatale qu'elle incarne, étaient en fait une immense carapace (un peu comme Loana de Loft Story, pour laquelle le spectateur éprouve une empathie très similaire). Ce qui est extraordinaire dans le film de Walsh, c'est qu'elle envahit l'espace à chaque apparition, c'est comme si elle prenait le film à son compte. C'est d'autant plus impressionnant que la fragilité du personnage n'est jamais voilée pour autant, mais Dietrich se protège de cette fragilité en amenant à elle tout ce qu'il y a autour (le plan de son apparition me semble particulièrement signifiant : un travelling avant assez rapide qui efface tout l'environnement jusqu'à ce qu'on ne voit plus que son visage entre deux barreaux : pour lutter contre l'oppression elle absorbe l'espace, elle fait fonction d'aimant). Il y a d'ailleurs une scène renversante dans Manpower, c'est celle de la discussion dans l'escalier entre Johnny et Fay/Dietrich. A ce moment-là, elle ne parvient plus à lutter, les sentiments sont trop forts, l'oppression aussi ; tout ce qui se passe devient trop lourd pour elle et elle apparaît pour la première fois en position de vulnérabilité, si bien qu'elle finit par lâcher une larme. Larme sans doute pas aussi mythique que celle du mariage de L'Imperatrice Rouge (le cinéma de Walsh est rarement aussi ample que celui de Sternberg), mais non moins bouleversante. 

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