samedi 24 août 2019

Mallarmé

Découverte récente de Mallarmé, d'abord accompagné par ce passeur lumineux qu'est Maurice Blanchot (les lignes consacrées à l'œuvre du poète dans Le livre à venir sont d'une clarté sublime), puis seul, m'égarant dans le hasard des pages d'un recueil. Pour le moment, pas de vibration primitive. Je ne retrouve pas l'émotion brute, brûlante, foudroyant l'intime depuis le dehors, que j'avais connue lors ma rencontre avec Hölderlin (même traduit en français). Je sens que ça viendra, que l'émotion est là, joueuse, fugace, à l'intérieur et à la surface de la poésie de Mallarmé, mais il me faut du temps pour y accéder, c'est encore trop loin de moi, fuyant l'oeil et l'oreille, insaisissable à la pensée. Reste un travail à faire.

Mais cet aspect lointain, et nouveau, provoque quand même un trouble, comparable peut-être, en intensité, à celui causé par ma première expérience de l'oeuvre de Hölderlin, mais pourtant tout à fait différent. Un étonnement innommable. Le tout premier poème découvert, comme chacun de ceux que j'ai lus jusqu'à présent, m'a ouvert tout à coup les portes d'un vaste champ des possibles qui m'était jusqu'alors inconnu -je dirais même : insoupçonné. Comme si la poésie de Mallarmé libérait tout un espace -de pensées, de sensations, d'écriture, d'humour- presque totalement étranger au mien. Un monde nouveau, inimaginé, immensément libre. Mobile, sauvage, drôle ; indicible. J'avance à petits pas dans ce territoire clandestin, extraordinairement stimulant, qui défie ou déplace les lois de l'existence telles que je les entendais. Un poème par-ci, un poème par-là, et chaque fois l'équilibre chancelant du désordre mallarméen bouleverse et élargit l'espace de mon propre monde. Déboussolé, je poursuis prudemment l'aventure.

jeudi 22 août 2019

JCB, de l'autre côté du miroir

Curieuse façon qu'ont parfois les films de voyager avec leurs spectateurs. Il y a trois jours, j'ai découvert Trois ponts sur la rivière de Jean-Claude Biette, et déjà le film s'efface, rapidement. Il me reste des souvenirs comme des ombres de passage, des figures qui traversent mon esprit comme elles ont traversé l'espace du film, avec une intense transparence. J'oublie le drame, les enjeux, certains moments... Je retiens des couleurs, des gestes, des sons, des percées de lumière ; instants fugaces qui ont surgi et qui surgissent encore, intacts.

Un plan saisissant où, dans un café de Porto, l'étudiante portugaise avec qui discute Mathieu Amalric lui prend soudainement la main pour jouer à la voyante. Amalric est décontenancé, troublé par ce contact brusque et inconvenant. A ce moment, Jeanne Balibar, vêtue de bleu, passe à l'extérieur, en arrière-plan, et aperçoit par la fenêtre la main de son homme dans celle d'une autre femme. Elle ne fait que passer, apercevoir, comme un fantôme appelé par le signe de la voyante, apparaissant puis disparaissant au dehors, dans la clarté du jour.

... Puis son écho, plus tard, de loin, au clair de lune. Un baiser tout aussi brusque, un Amalric tout aussi troublé, et Balibar qui regarde -en rose cette fois-, déambulant tristement au son de quelques notes de guitare, accompagnée par un délicat mouvement de caméra d'une pudeur mizoguchienne.

Et cette fin merveilleuse, avec Claire cherchant au bois sa fille Aline, puis celle-ci déboulant miraculeusement de derrière un arbre, telle une Alice ayant vécu son histoire à elle, secrètement, à l'ombre du film.

Après trois jours, je retiens ces trois temps. Et d'autres vont et viennent, se fixent, repartent. Une autre fois, ce sera différent. C'est la liberté de ce film qui renaît à chaque scène, où tout lieu, tout personnage, abrite une fiction neuve et fuyante. Promenade fantaisiste au gré des marches, des rencontres, des jeux de mots, des toits, des portes, des fenêtres qui s'ouvrent. Le liant est là, qui fait tenir l'ensemble. Il est dans l'air qui passe, la mélodie qui trottine, dans le mystère qui se faufile entre les espaces et les moments et leur permet de se correspondre. Il repose sur cette rigueur légère et transparente, assez discrète pour passer inaperçue et ne surtout pas gêner la vie qui se poursuit, mais suffisamment imposante pour faire aller conjointement des morceaux de temps disparates ; ce qu'on appelle méthode, ou mise-en-scène.

Une fois effilé par l'oubli, il reste le cœur du film, son pouls. Et l'on entend les échos d'une respiration tourneurienne, on sent lointainement le souffle d'une enquête mystérieuse, une chasse à l'ombre ; et l'on se dit que ce que la caméra enregistre avant tout, c'est le passage de la disparition.

« La chaleur des meules devint si forte qu’on ne pouvait plus s’en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des cré...