Découverte récente de Mallarmé, d'abord accompagné par ce passeur lumineux qu'est Maurice Blanchot (les lignes consacrées à l'œuvre du poète dans Le livre à venir sont d'une clarté sublime), puis seul, m'égarant dans le hasard des pages d'un recueil. Pour le moment, pas de vibration primitive. Je ne retrouve pas l'émotion brute, brûlante, foudroyant l'intime depuis le dehors, que j'avais connue lors ma rencontre avec Hölderlin (même traduit en français). Je sens que ça viendra, que l'émotion est là, joueuse, fugace, à l'intérieur et à la surface de la poésie de Mallarmé, mais il me faut du temps pour y accéder, c'est encore trop loin de moi, fuyant l'oeil et l'oreille, insaisissable à la pensée. Reste un travail à faire.
Mais cet aspect lointain, et nouveau, provoque quand même un trouble, comparable peut-être, en intensité, à celui causé par ma première expérience de l'oeuvre de Hölderlin, mais pourtant tout à fait différent. Un étonnement innommable. Le tout premier poème découvert, comme chacun de ceux que j'ai lus jusqu'à présent, m'a ouvert tout à coup les portes d'un vaste champ des possibles qui m'était jusqu'alors inconnu -je dirais même : insoupçonné. Comme si la poésie de Mallarmé libérait tout un espace -de pensées, de sensations, d'écriture, d'humour- presque totalement étranger au mien. Un monde nouveau, inimaginé, immensément libre. Mobile, sauvage, drôle ; indicible. J'avance à petits pas dans ce territoire clandestin, extraordinairement stimulant, qui défie ou déplace les lois de l'existence telles que je les entendais. Un poème par-ci, un poème par-là, et chaque fois l'équilibre chancelant du désordre mallarméen bouleverse et élargit l'espace de mon propre monde. Déboussolé, je poursuis prudemment l'aventure.