Je ne sais pas trop pourquoi, je repensais aux Fiancés d'Ermanno Olmi... Je crois que j'y repensais parce que je viens de voir Adieu Anatolie, un film oublié du cinéaste grec Stavros Tornes. C'est un journal filmé de 36 minutes, mêlant des images de rues, de fenêtres, de visages... Je n'ai pas tout compris, mais le film m'a fait éprouver un sentiment rare au cinéma, qui est celui de la distance entre deux lieux. Sentiment si rare qu'il m'a fallu remonter à Les Fiancés, film admirable mais dont je garde peu de souvenirs, si ce n'est justement la distance déchirante qui sépare les deux fiancés du titre (l'homme dans le sud de l'Italie pour travailler et la femme dans le nord -et le téléphone entre les deux). On peut aussi trouver quelque chose de cet ordre-là chez Duras ou les Straub, mais c'est un peu différent, me semble-t-il. Il serait plutôt question d'une distance entre l'image et le son, entre le lieu de l'image et le lieu du son. Tandis que dans le film de Tornes, comme dans celui d'Olmi, il s'agit réellement de géographie (la différence est mince, je le reconnais, mais elle est importante).
Je n'ai pas très bien compris si les images d'Adieu Anatolie provenaient ou non de deux lieux différents, mais il m'a semblé que oui. Il m'a semblé qu'on voyait l'Anatolie puis la France, et que de ces deux visions naissaient le fameux sentiment de distance. Une distance folle, énorme. Triste, aussi. D'autant plus triste qu'elle est très mystérieuse (peut-être même irréelle, peut-être l'ai-je rêvée, cette distance) ; rien n'explique ce qui sépare les journaux anatoliens des journaux français, les rues anatoliennes des rues françaises, les fenêtres, les visages... Mais quelque chose les sépare quand même, quelque chose fait qu'entre un lieu et un autre, si semblables soient-ils, et même filmés d'une façon similaire, il y a une différence. On ne peut pas filmer la France comme on filme l'Anatolie. On ne peut pas faire comme si c'était la même chose, comme si le lieu n'importait pas. La distance est trop grande.